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Homélie du Dimanche 5 Novembre 2023.

Evangile Matthieu 23, 1-12


Et bien dites-donc les scribes et les pharisiens ne sont pas à la fête ! Dans ce récit d’évangile Jésus se déchaine. Le voici lancé dans un pamphlet contre les scribes et les pharisiens à faire trembler les synagogues les mieux enracinées. Avec des perles empoisonnées du genre : « Ils disent et ne font pas », « Ils agissent pour être remarqués » … en portant sur eux des phylactères plus larges et des rubans plus longs que la moyenne !

Les phylactères (ou tephillin en hébreu) vous savez ce que c’est ? Ce sont des petits boitiers en cuir attachés par des lanières, au front et au bras gauche. Ils contiennent, écrits sur parchemin à l’aide d’une encre spéciale, quelques versets de la Bible faisant mémoire de la prévenance de Dieu pour son peuple. La frange, de son côté qu’on appelle aussi ruban, « sisit » en hébreu, est composée de quatre fils de laine noués à quatre coins du vêtement. Le nombre de nœuds, vingt-six, étant égal à la somme des lettres ou des chiffres au nom de Yahweh, le Seigneur.


Comme tous les juifs fidèles à la Tradition, Jésus portrait « tephilin et sisit ». Souvenez-vous l’évangile l’atteste lorsque la femme atteinte d’hémorragie depuis douze ans « touche le « sit » de son vêtement » (Matthieu 9, 20). Mais Jésus ne supporte pas le détournement de Testament ! Les franges et les phylactères sont les signes discrets d’une Présence. Les scribes et les pharisiens, eux, en ont fait les insignes indiscrets de leur orgueil et de leur suffisance. Ils portent sur eux les parchemins de la Parole de Dieu, de la Torah, de la Loi, mais le parchemin de la vie, ils l’ignorent. Leur tenue vestimentaire tient lieu de compétence. Pauvre Dieu assigné à résidence par les talibans du paraître !

Mais est-ce vraiment une histoire ancienne quand, aujourd’hui encore, des hommes en noir prient près d’un Mur en regardant de biais pour voir si on les voit… En ce sens, le Mur des lamentations n’est pas qu’à Jérusalem : chaque église, chaque temple, chaque synagogue, chaque mosquée peut s’interroger. Où sont ses phylactères trop larges et rubans trop longs ? Et les titres usurpés ? « Ne donnez à personne sur terre le nom de Père », dit Jésus.


« Rien de nouveau sous le soleil », aurait dit le sage Qohélet. La preuve : Malachie déjà, cinq siècles avant Jésus. Un prophète encore plus percutant quand il dénonce le clergé de son temps : « Maintenant, prêtres, à vous cet avertissement : vous avez fait de la Loi une occasion de chute… Si vous n’écoutez pas, j’enverrai sur vous la malédiction. » Avec cette question encore : « N’avons-nous pas tous un seul Père ? » (Malachie 1, 14-2,9)

Et voilà donc Jésus qui reprend les mêmes accents, si près de Malachie, presque dans les mêmes mots, comme si, s’agissant du clergé, cinq siècles depuis la mise en garde du prophète, rien n’avait changé. « Ne donnez à personne le nom de Père, car vous n’avez qu’un seul Père. » Autrement dit, foin des titres, abaissez-vous plutôt, car la terre et les hommes sont « en bas » et Dieu lui-même, le Très-Haut s’est abaissé, il s’est fait le Très-bas, un Dieu à hauteur d’homme !


Et bien dites-donc, et si après cela, un prêtre s’interroge encore aujourd’hui sur son statut, sur son titre, sur son vêtement, Paul lui aussi vient lui offrir un formidable témoignage : « Nous avons été au milieu de vous plein de douceur, comme une mère réchauffe sur son sein les enfants qu’elle nourrit. Ayant pour vous une telle affection, nous voudrions vous donner non seulement l’Evangile de Dieu, mais tout ce que nous sommes. » ( 1 Thessaloniciens 2,7-8). Alors ne serait-ce pas le moment d’entendre aujourd’hui un nouveau Malachie : « Prêtres, je vous avertis : les signes extérieurs ne sont rien. Une seule chose compte : donner l’Evangile et c’est déjà donner beaucoup. Le donner avec douceur. Le donner avec affection. Avec tout ce que vous êtes. »


Bon, avec cette mise en garde, nous pourrions être tentés de nous contenter de braquer le projecteur sur les scribes et les pharisiens d’hier, sur le clergé de toutes les époques ou sur le cléricalisme aujourd’hui que le Pape dénonce comme un des maux majeurs de l’Eglise, péché soit dit en passant qui ne touche pas seulement les prêtres mais aussi des fidèles… Non, l’évangile de ce jour doit nous conduire d’abord et avant tout à contempler le Christ lui-même. Le serviteur des serviteurs qui révèle une cohérence parfaite entre ce qu’il dit et ce qu’il fait. Lui qui ne se distingue ni par des signes extérieurs, ni par l’apparence, ni par la façade, mais qui épouse un art de vivre dont la profondeur et la vérité d’humanité, les manières d’aimer, sa vie mêlée à l’existence de tous qui témoigne d’un Dieu jamais en surplomb, mais d’un Dieu hors du commun parce justement proche, infiniment proche, homme parmi les hommes, notre frère en tout excepté le péché.


Alors en contemplant le Christ, chacun d’entre nous est sommé de s’interroger. « Vous êtes tous frères » nous dit Jésus. Ce qui compte donc vraiment, ce n’est pas les titres, les signes distinctifs, les apparences, car vivre à la suite du Christ est une exigence, non pas de formalisme ou d’obligations, mais de générosité, d’attention, de souci de l’autre. Les mises en garde du Christ dans l’évangile de ce dimanche sont donc un véritable manifeste contre les abus de pouvoir, les abus spirituels des soit- disant doctes et maîtres, supérieurs et pères, de ceux qui prétendent savoir ou penser à la place de l’autre mais qui lient en fait de lourdes charges sur les épaules des autres, découragent, affligent et brisent. Tous ces imposteurs qui « ferment le Royaume des cieux. » Là encore, un usage parcimonieux de tous ces mots usés de père, de mon seigneur… serait une heureuse cure de santé car nous avons hélas encore nombre de façons de remplir nos phylactères ou nos doublures de manteau. Oui, nous avons vraiment besoin de purification pour devenir davantage un seul et même peuple, un peuple de frères, embarqué les uns avec les autres, dans le même souffle à la suite du Christ, lui le seul Seigneur, le seul maître, le fils unique du seul Père qui soit, le Père de tous, Dieu notre Père. Allez demandons au Seigneur dans cette Eucharistie qu’il nous libère des pièges de la vanité, de la façade afin d’avoir une vie accordée à sa Parole : « le plus grand parmi vous sera votre serviteur », « vous êtes tous frères ».


Père Patrick Rolin


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