Deutéronome 18, 15-20 / Psaume 94 (95) / 1 Corinthiens 7, 32-35 / Marc 1, 21-28
Cette page d’évangile rapporte le premier exorcisme que Jésus accomplit dans l’œuvre de Marc. Chaque acteur a une façon bien typée de s’exprimer.
L’esprit impur qui tourmente un malheureux homme pose des questions : « Que nous veux-tu ? Es-tu venu pour nous perdre ? » Il est cependant bien informé sur Jésus : « Je sais qui tu es : tu es le Saint de Dieu. » Mais son grand savoir n’empêche pas qu’il parle de façon confuse, tantôt en disant « je », tantôt en disant « nous ». Il est, pour l’auteur, l’image du mal, du trouble et du désordre, une chose dont tout croyant doit être débarrassé.
Jésus, au contraire, parle avec autorité, déjà dans sa prédication : « Il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes. » C’est également avec autorité qu’il s’adresse au démon, et sa parole est efficace : « Tais-toi ! Sors de cet homme. »
Quand aux foules qui sont témoins de l’événement, elles sont dans l’admiration et dans le questionnement : « Qu’est-ce que cela veut dire ? »
Comme souvent, l’évangéliste nous invite à entrer dans le texte en prenant la place des témoins, ceux qui s’interrogent : « Qu’est-ce que cela veut dire ?... » Et à ne pas trouver trop vite des réponses.
Qu’est-ce que cela veut dire, que Jésus pratique des exorcismes ? Qu’est-ce que cela veut dire qu’un homme moins formé que les scribes enseigne des choses plus intéressantes qu’eux ? Il y a plusieurs éclairages possibles, qui sont suggérées par les autres lectures de ce dimanche.
Cela veut d’abord dire que Jésus veut nous délivrer tous du mal, et en particulier du mal que nous commettons et qui s’appelle le péché. Un peu plus loin dans son évangile, Marc présentera des gens qui pèchent gravement. Ce sont les scribes venus de Jérusalem qui diront, à propos des exorcismes et des guérisons que Jésus opère : « C’est par le prince des démons, qu’il chasse les démons » (Marc 3, 22). Jésus fait du bien autour de lui, et ces monstres malveillants estiment que le bien qu’il accomplit est une œuvre démoniaque : voir le mal là où il n’y a que du bien, c’est la forme caractéristique d’un péché grave. Ces scribes devraient s’émerveiller, au contraire ; mais leur jugement perverti les conduit à tout noircir. Jésus veut nous délivrer de ce péché-là, et de tous les autres.
Cela veut encore dire que Jésus est un prophète, et plus qu’un prophète : il est le nouveau Moïse annoncé dans le livre du Deutéronome : « Je ferai se lever au milieu de leurs frères un prophète comme toi. » Moïse a été le guide du peuple hébreu au désert, après la sortie d’Egypte. Il a parlé face-à-face avec le Dieu d’Israël, comme Jésus, plus tard, parlera en toute confiance avec son Père. Moïse a aussi indiqué au peuple comment se comporter pour être fidèle à l’alliance. De même, Jésus est pour nous un guide. Jésus mérite d’être imité, comme l’écrira l’apôtre Paul dans la 1ère épître aux Corinthiens : « Imitez-moi, comme moi aussi j’imite le Christ » (1 Corinthiens 11, 1). Tout comme lui, nous devons lutter contre le mal.
Cela veut enfin dire – c’est un troisième éclairage que je suggère – qu’il ne faut pas craindre de se comporter autrement que la majorité des gens. Cela ressort de l’extrait de la 1ère épître aux Corinthiens qui nous a été proposé en deuxième lecture. Paul valorise le célibat, pour les hommes et pour les femmes. Or, il n’était aucunement valorisé de son temps. Ne pas avoir d’enfant était une honte, pour un homme comme pour une femme. Quand on lit la Bible, il n’y a guère que cinq ou six célibataires parmi les personnages importants : Elie et Elisée, Jérémie, Jean Baptiste, Jésus et Paul. Jésus déclare, dans l’évangile de Matthieu, que certaines personnes « décident de devenir eunuques à cause du Royaume des cieux » (Mt 19, 12) ; c’est la voie qu’il a lui-même choisie. Ne confondons pas le célibat avec la perfection, il est parfois vécu de façon de façon très déviante ; la pédocriminalité de certains clercs nous l’a rappelé de façon horrible. Mais le célibat est une forme privilégiée d’attachement au Christ. Heureusement que tous les chrétiens ne sont pas célibataires, car l’Eglise serait vite dépeuplée ! Ne lui ôtons cependant pas sa valeur : Jésus et Paul l’ont vécu de façon harmonieuse et féconde.
Je reprends ce que je viens de dire en forme de trois exhortations. 1) Laissons-nous délivrer du mal par Jésus ; nous le redirons dans le Notre-Père. 2) Imitons celui qui est un prophète et plus qu’un prophète, le nouveau Moïse que l’on appela « le prophète de Galilée », et ayons le courage de lutter contre le mal. 3) Ne craignons pas de faire des choix de vie originaux, qui nous différencient de la majorité de nos contemporains ; si tout le monde vivait de la même façon, la monde serait infiniment triste.
Et continuons de nous poser des questions. C’est une attitude plus féconde que les alignements de certitudes.
Homélie du P. Michel Quesnel
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