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Homélie de la Toussaint

Vous savez à quoi ce texte des Béatitudes me fait penser ? A une verrière, à un vitrail. La verrière n’est faite que pour faire chanter la lumière.

Lire les Béatitudes, c’est contempler la lumière de Dieu, l’amour de Dieu qui se réfracte dans le bleu de la douceur, le vert de la paix, le rouge-sang des larmes et de la persécution, les ors de la justice.

Les huit Béatitudes sont huit façons de manifester l’amour qui a sa source en Dieu.

Regardez bien encore ce vitrail, vous y devinez un visage, c’est le visage de Jésus. Les Béatitudes, c’est le portrait du Christ.

Mes amis, c’est la Toussaint… La fête de tous les saints, c’est en quelque sorte – passez-moi l’expression - la journée portes ouvertes de la sainteté. Les chrétiens prennent le temps, aujourd’hui, de visiter les galeries de tous les saints.

Et nous avons bien fait de commencer la visite par cette salle-là, où l’on apercevait le vitrail des Béatitudes avec le portrait de Jésus. Car il n’y a de sainteté des hommes que parce que Dieu donne son Souffle Saint, l’Esprit de Sainteté, l’Esprit de Jésus.

Ceci étant rappelé, nous pouvons maintenant poursuivre la visite. D’autres galeries nous attendent.


La première, c’est la galerie des officiels : les saints canonisés, reconnus, dûment répertoriés. Nous les connaissons, nous portons leurs noms : Pierre, Paul, Thérèse, Jean, François, Bernadette…

C’est intéressant de les connaître. C’est merveilleux de lire leur vie, comment ils ont vécu l’Evangile. Leur exemple nous stimule pour qu’à notre tour nous sachions inscrire l’Evangile dans la chair de nos vies et de notre époque. Oui, c’est précieux de nous en faire des amis et de leur demander de prier pour nous qui devons relever le défi de vivre dans le souffle saint de l’Evangile.


Après la galerie des officiels, voici une salle beaucoup plus vaste. En effet, après les saints canonisés – les prix Nobel en quelque sorte- viennent des hommes, des femmes, des enfants qui ont vécu l’Evangile tout simplement et que Dieu a accueilli dans sa maison.

C’est la foule innombrable de mères de famille anonymes, au dévouement inlassable. D’innombrables êtres qui, toute leur vie, ont servi les autres sans mesure, sans même penser qu’ils pourraient en tirer gloire. C’est aussi cet entrepreneur qui a crée des emplois en prenant des risques, ces médecins sans frontières qui se dépensent sans compter, ces infirmières bénévoles qui pataugent dans la boue des camps de réfugiés, cet homme politique qui refuse les compromissions, ces amoureux qui savent écrire le mot « Amour » avec une majuscule pour ne pas le rabaisser aux caricatures dont il est victime. Et beaucoup d’autres encore, que vous pourriez nommer avec moi ce matin. Oui, comme il y en aurait encore à dire !... Par exemple, évoquer ceux qui auraient bien des raisons de désespérer de la vie, ou de leur santé, ou de leur conjoint, mais qui ont tenu bon, non par résignation, mais en sachant ce qu’ils faisaient. Ou bien l’incroyant au cœur droit qui a vécu au jour le jour l’Evangile qu’il n’a jamais lu.

Bref c’est la foule immense, que nul ne peut dénombrer, de toutes nations, races, peuples et langues. Foule immense, bien plus nombreuse que les prix Nobel évoqués tout à l’heure, que les saints de notre calendrier ! Bien plus nombreuse que les 144 000 de l’Apocalypse !... Et je suis sûr que dans cette foule immense, nous en connaissons sûrement quelques-uns uns… nos parents, nos amis, un frère, une sœur, un voisin…Bref, des hommes, des femmes qui ont vécu tout simplement l’une ou l’autre des Béatitudes. Ils ont été certainement les premiers surpris d’entendre le Seigneur leur dire : « Bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle dans les petites choses…Entre dans la joie de ton maître. »

La Toussaint, c’est leur fête, leur fête à eux d’abord, la fête des saints qui ne seront jamais dans les vitraux. Et reconnaissez avec moi, que la visite de cette galerie -là est interminable, tellement ils sont nombreux ceux qui n’ont jamais fait parler d’eux et qui n’ont pas laissé d’images. Tous ceux qui ont depuis des âges aimé sans cesse et de leur mieux, autant leurs frères que Dieu. Tous ceux dont on ne dit pas un mot. Ceux qui n’ont pas fait de miracles, ceux qui n’ont jamais eu d’extase et qui n’ont laissé de trace qu’un coin de terre. Tenez, cet après-midi, en allant au cimetière, en déposant une fleur sur leurs tombes, vous continuerez en quelque sorte la visite, car ce sont eux les saints de la vie quotidienne, de la vie ordinaire. Tous ces gens de rien, ces bienheureux du quotidien qui n’entreront pas dans l’histoire, ceux qui ont travaillé sans gloire. Ils ont leur nom sur tant de pierres et quelquefois dans nos prières… mais la Toussaint justement nous fait signe qu’en vérité ils sont dans le cœur de Dieu !

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Et enfin, il y a une troisième galerie, complètement inattendue celle-là, mais c’est aussi la merveilleuse surprise de la Toussaint. Il y a la galerie de tous « les rescapés de la sainteté ».

Les « rescapés de la sainteté » qui sont-ils ? Ce sont ceux qui ont fait naufrage, les laissés pour compte. Ceux qui trainent une hérédité lourde, une éducation ratée. Les enfants blessés dans leur chair et dans leur cœur. On les rencontre dans les prisons parfois ou sur les trottoirs du vice et de la misère. Ce sont aussi les morts de la rue, tous ceux qui ont été mis en terre avec des pierres tombales sans noms. Ce sont tous les accidentés de la vie, les accidentés de la morale, les accidentés de l’amour… qui sont marqués eux aussi du sceau, de la marque du Dieu Vivant !

Et oui, c’est bien le message inouï de la Toussaint. Eux aussi, les moins que rien, sont promis à la vie du Dieu Saint. C’est avec ces gens-là aussi que Dieu veut faire des saints. C’est avec des gens imparfaits que Dieu veut faire les saints. C’est avec des pécheurs que Dieu fait des saints. Souvenez-vous, Jésus est venu « sauver ceux qui étaient perdus ».

Voilà pourquoi nous osons croire que ces millions et millions d’hommes et de femmes – qui avaient dans leur cœur une petite lumière d’amour qui brillait, à laquelle ils ont été fidèles-, nous osons croire qu’ils sont entrés maintenant dans la lumière de Dieu, qu’ils se tiennent debout devant l’Agneau et proclament d’une voix forte « le Salut est donné par notre Dieu ! ».

Cette lumière a tout changé, elle les a purifiés. Cette lumière a brûlé leurs refus, cicatrisé leurs plaies, anéanti leurs imperfections. S’il y avait décalage entre leur vie et le dessein de Dieu – et comment n’y aurait-il pas décalage ? - c’est Dieu qui a comblé le déficit. Quelle audace de croire cela ! Quelle immense Bonne Nouvelle !

Vous allez le dire que j’exagère, mais non, nous n’enjolivons pas, nous ne rêvons pas. Les « rescapés de la sainteté », on les trouve déjà dans l’Evangile. Vous connaissez des noms : Zachée, Marie-Madeleine, Matthieu, la Samaritaine, le bon larron…

Oui, le visage de Dieu que Jésus nous a révélé n’est pas celui d’un Dieu qui punit ou même qui récompense, mais un Dieu qui pardonne et qui sauve. Et cette dernière galerie « des rescapés de la sainteté » nous fait signe que si la foule des sauvés est immense, c’est parce que le Seigneur fait toujours son travail, non pas à la pêche à la ligne mais « au chalut de la pêche miraculeuse », là où les filets sont plein à craquer !


Voilà la visite est terminée. La galerie des Béatitudes, la galerie des officiels, des gens ordinaires et des rescapés de la sainteté. Tous saints !... Mais notre prière continue puisqu’elle est désormais habitée par tous ces saints et saintes de Dieu dont la vie et la mort ont annoncé Jésus-Christ sur nos routes humaines. Alors dans la communion de tous les saints, en avant, car à la suite de Jésus le saint de Dieu, quelle chance pour ceux qui sont en manque jusqu’ au fond d’eux-mêmes, il est pour eux le Royaume de Dieu ! Allez, heureux, bienheureux vous tous les saints, car nous sommes tous appelés à la sainteté ! Belle fête de Toussaint à tous !



P. Patrick ROLLIN, recteur de la basilique Saint-Bonaventure et la Chapelle de l'Hôtel-Dieu

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