Homélie du dimanche 7 septembre 2025
- igignoux
- 9 sept.
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Eh bien dites-donc, ce dimanche, Jésus y va fort. C’est à se demander s’il veut vraiment avoir des disciples, tant les exigences qu’ils posent semblent démesurées, hors d’atteinte, pour ne pas dire inhumaines. « Si quelqu’un vient à moi sans ma préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite, il ne peut pas être mon disciple. »
Alors je ne sais pas vous, mais moi, de prime abord, j’ai vite envie de tourner la page et de prendre les jambes à mon cou pour échapper à ce gourou qui prétend nous faire haïr nos proches pour mieux le suivre et l’aimer. Je dis bien « haïr » car les paroles de l’Evangile sont tellement sévères que le traducteur a jugé bon de les adoucir. Dans l’original grec, Jésus ne dit pas qu’il faut le « préférer » à sa famille. Il dit brutalement qu’il faut les haïr. Comment comprendre cette radicalité et surtout comment la concilier avec l’impératif de l’amour universel, même des ennemis ?
Bon, il va sans dire, que le texte auquel il faut nous frotter, ne figure sans doute pas parmi les pages d’Evangile qui nous sont les plus précieuses. Il ressuscite en nous le spectre d’un christianisme ennemi de l’homme, prêchant le renoncement et l’abnégation sur tous les tons et à tous les niveaux. Un christianisme hors d’âge, en quelque sorte, nous enfermant dans la culpabilité et l’impuissance.
Ce dimanche, voilà une page d’Evangile bien difficile. La tentation nous guette de vouloir en adoucir les paroles abruptes, de trouver des petits arrangements pour en émousser la pointe acérée, d’inventer des stratagèmes pour en amoindrir la radicalité. En effet, nous avons bien du mal à voir en quoi tous ces renoncements à ce qui nous est le plus cher, à commencer par nos affections, et en quoi la haine de soi, de nos biens, peuvent être une Bonne Nouvelle pour notre vie. N’est-ce pas plutôt de la folie ?...
Mais le comble dans l’histoire, c’est que Jésus justement nous présente ces opérations de dépouillement comme la décision la plus sensée qui soit. La radicalité de l’Evangile n’induit pas de renoncer à la sagesse la plus élémentaire.
Avec deux petites paraboles, « quand on construit une tour, il faut être prêt d’aller jusqu’au bout ; quand on part en guerre, il faut être sûr de la gagner », Jésus insiste sur le devoir de s’asseoir d’abord, pour calculer la dépense et voir comment aller jusqu’au bout, afin de poser les fondations d’une vie à sa suite. Il ne s’agit pas de foncer tête baissée. Le dépouillement auquel Jésus nous appelle doit être une disposition au long cours, et pas seulement le coup de sang d’un jeune converti enthousiaste.
Prenons-donc maintenant le temps de nous asseoir et avec l’auteur du livre de la Sagesse de nous interroger : « Quel homme peut découvrir les intentions de Dieu ? Qui peut comprendre les volontés du Seigneur ? » Essayons de comprendre car voilà une page d’Evangile difficile mais ien de tel pour provoquer la foi, la mettre en mouvement et finalement nous faire bouger., nous déplacer, nous convertir.
L’Evangile de ce jour a de quoi surprendre puisqu’il nous rappelle que suivre le Christ peut conduire à des renoncements radicaux. Et parfois même des renoncements à ce qui nous est le plus cher, nos attachements familiaux légitimes, nos amours. Faisons un arrêt sur texte pour nous rappeler que jamais le Christ ne nous veut du mal. Il désire le meilleur, ce qui justement fait vivre et habiter les liens humains sans y être séquestré, enchaîné, de façon toujours ouverte vers d’autres autant que vers l’avenir. Non, le désir de la suite du Christ, de mettre nos pas dans ses traces, ne fait pas nombre avec nos affections, nos amitiés, nos solidarités, nos attachements. Ce que nous donnons aux uns ne peut lui être enlevé. Ce que nous vivons avec lui n’entre pas en concurrence avec nos liens, car pour Jésus il n’y a qu’un seul Seigneur et c’est un Seigneur d’amour.
Oui, ne l’oublions jamais, le Christ est la source des liens qui cherchent à être vrais, bienfaisants, respectueux. Il les unifie, les oriente, les passe au creuset de son amour. Et cela nous demande de quitter la facilité, ce qui conforte trop facilement, rassure un peu vite, là où nous restons dans l’entre-soi. C’est du cœur ancré dans notre Dieu que jaillit la vraie vie de nos relations, de nos engagements. Il s’agit de passer par le cœur qui est en Dieu. Un cœur dilaté, un cœur au large, un cœur qui se déploie au-delà de nous-mêmes et de nos seuls proches affectifs. Tel est bien la clé de compréhension des exigences de Jésus dans leur radicalité.
Donc pas de méprise, le propos de Jésus ne vise pas à nous séparer de nos familles. Ce qui importe sans doute pour le Christ, c’est de nous pousser à quitter l’espace clos de nos relations obligées, trop étroites ou trop étriquées, et de prendre le large pour des horizons plus vastes. Préférer le Christ, « à son père, sa mère, ses frères et sœurs » c’est se rendre capable de les aimer autrement, de les aimer d’un amour gratuit et désencombré des marques de possession ou d’égoïsmes qui gouvernent hélas bien trop souvent nos relations.
S’il faut nous délester, ce ne sont pas de nos proches, mais de ce qui nous empêche d’aimer en vérité, ce qui nous clôt sur nous-mêmes, nous ferme sur nos conforts, nos certitudes, notre petit monde trop connu.
Et puis si Jésus demande à ceux qui le suivent de porter leur croix. Il ne leur demande pas d’être crucifiés avec lui, mais il leur rappelle que la foi induit des choix, des renoncements. Ce n’est pas très porteur aujourd’hui de dire cela mais il ne faut pas tricher avec la radicalité de l’Evangile. La foi n’est pas à confondre avec le culte du bien-être. La croix c’est préférer à la vie tranquille, ; sans histoire : le Royaume de Dieu et sa justice. Et là , c’est une toute autre histoire , car chacun au fond de lui connaît les attachements qui l’empêchent d’être disciple et les croix dont il doit se charger. Suivre le Christ c’est sortir de l’illusion qu’être chrétien relève du « soft ». Impossible d’être disciples, sans opérer des choix qui coûtent, sans rencontrer des épreuves, sans soutenir des combats quoi qu’il en coûte, même sa propre vie !
Etre disciple du Christ, induit aussi une radicalité dans un domaine où nous ne devons pas faire de compromis, celui de nos biens. De même qu’il faut renoncer à certains liens familiaux pour être disciple, il faut aussi renoncer aux biens qui entravent notre marche dans la foi. Pour être disciple, il faut se libérer de tout esclavage vis-à-vis de l’argent et pour cela casser la fascination que l’argent exerce sur nous. Et là encore, quel combat il nous faut mener, contre nous-mêmes, pour nous détacher de biens qui nous empêchent d’épouser la souveraine liberté d’aimer du Christ.
Voilà manifestement, tous ces renoncements nous appellent à faire un déplacement, non pas géographique, mais intérieur. Il s’agit de « suivre Jésus » sur son chemin d’humanité, de s’attacher à lui, premier de cordée, pour atteindre le sommet, c’est-à-dire le Père, le Royaume de Dieu et sa justice. Il ne s’agit donc pas de lésiner sur les efforts, ni de s’embarrasser de choses inutiles, il s’agit d’avancer résolument en laissant tomber progressivement tout ce qui appesantit notre marche. Il s’agit d’être assez libre pour faire le chemin de notre vie dans le sillon de la liberté du Christ. Un chemin de crète enthousiasmant mais exigeant aussi. L’essentiel est que chacun prenne sa vie en mains, son avenir, son destin pour les porter à leur achèvement, pour devenir ce à quoi il est appelé, fils et filles du Très-Haut.
Eh bien, s’il fallait avoir un programme de rentrée, en voici un tout trouvé. Bon dimanche et bonne rentrée !




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