Homélie du dimanche 31 août 2025
- igignoux
- 2 sept.
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Dernière mise à jour : 9 sept.
Une première lecture des textes du jour nous amène assez rapidement au mot « humilité » en guise de fil rouge bien visible. On pourrait presque intituler ce dimanche, le « dimanche de l’humilité » ! Ben Sirac et St Luc se relaient pour insister lourdement : « Plus grand tu es, plus il faut t’abaisser », « et qui s’abaisse sera élevé. »
L’humilité, selon l’étymologie, être humble, c’est se trouver au plus près du sol (humus : la terre). Il ne s’agit pas de se dévaloriser en s’abaissant dans une sorte de masochisme inquiétant. Il s’agit de reconnaître notre « pesanteur », notre parenté de filles et de fils d’Adam avec la lourde glaise dont nous sommes issus et qui nous tire souvent vers le bas ! Se reconnaître fragile, vulnérable, c’est briser le verrou de l’orgueil, laisser l’Esprit ouvrir enfin l’oreille de notre cœur. C’est laisser Dieu entrer en nous par nos failles et nos blessures. L’humilité ? Une échelle vers le ciel !
Belle image que cette divine échelle de l’humilité. Mais avons-nous vraiment le désir de l’emprunter tant l’humilité a servi à désigner une manière de vivre sa vie en mode mineur ? Mais heureusement l’évangile de ce jour nous invite à la reconsidérer à nouveau. Il nous rapporte l’attitude de Jésus au cours du repas auquel il est invité, et pas par n’importe qui, puisqu’il s’agit du chef d’une confrérie religieuse pharisienne. Et pas n’importe quand non plus, puisqu’il s’agit du repas qui ouvre le sabbat, durant lequel les discussions religieuses vont bon train.
Le sabbat est un marqueur identitaire très fort dans le judaïsme. Son respect est le commandement répété le plus grand nombre de fois. Et ce jour-là, à propos du rapport à la maladie, la tradition disait qu’on devait soigner un humain s’il était en danger de mort, mais que si ce n’était pas le cas il fallait attendre la fin du sabbat. Or, Jésus venait de transgresser cette interprétation, il venait de guérir un malade alors que c’était interdit le jour du sabbat. Non pas qu’il considérait le sabbat comme un jour quelconque, mais pour lui, le fait de guérir était une bonne façon de vivre le sabbat. Le sabbat comme jour de grâce. Oui, contrairement à la tradition, Jésus le considérait comme un jour privilégié pour guérir, relever, sauver et libérer. Mais eux, étaient incapables de comprendre. Et maintenant voici que ses propos frisent l’impolitesse. Jésus fait deux remarques déplaisantes. L’une adressée aux invités, l’autre à celui qui l’a invité.
Les invités… Il trouve leur attitude prétentieuse. Il dénonce leur sans gêne par rapport à la manière de se placer, qui révèle l’esprit même de leur groupe. Il faut savoir que les repas pharisiens sont des repas où l’on se retrouve entre les personnes qui sont au même degré de pureté rituelle et de stricte observance des préceptes de la Loi. Des repas dont sont donc exclus les publicains, les femmes, et toutes personnes qui ne seraient pas en règle vis-à-vis des prescriptions. Jésus leur fait remarquer que le fait de s’approprier d’abord les meilleures places exprime un sentiment de supériorité, voire de mépris envers les petits. Leur attachement scrupuleux aux prescriptions rituelles trahit l’esprit de la Loi de Dieu. Celle-ci n’est pas faite pour établir des barrières, comme si certains étaient plus purs et plus méritants que d’autres et d’un rang supérieur, mais pour que tous soient accueillis et se comportent avec humilité, c’est-à-dire avec fraternité.
Jésus s’adresse enfin au chef des pharisiens qui l’invite, et critique sa manière de pratiquer les repas de sa confrérie, qui donne de Dieu une image faussée. Dieu n’est-il pas d’abord le Dieu de tous ? Au lieu de se retrouver entre pratiquants parfaits de la Loi, ne faudrait-il pas inviter d’abord les pauvres et les pécheurs, et non pas commencer par inviter amis, proches ou riches voisins ? C’est ce que fera Jésus. On lui reprochera de prendre son repas avec les pécheurs notoires. Dans les repas de sa communauté, pauvres et pécheurs seront les premiers invités, et les pratiques de purifications rituelles concernant les corps, les aliments ou la vaisselle ne seront pas exigées. Ce qui troublera l’ordre religieux, et sera d’ailleurs un des motifs de son procès et de sa condamnation.
Voilà, c’était hier, mais aujourd’hui il est question aussi de nous, de ces invités dont nous faisons partie. Il est probable que, quand nous organisons une fête, nous invitions surtout ceux qui nous sont proches. Le repas est un événement social, un marqueur identitaire. Il s’inscrit dans la logique de l’échange. Je t’invite parce qu’on appartient au même monde et que tu m’inviteras. Mais Jésus renverse nos conceptions en nous invitant à élargir le cercle à ceux que l’on ne voit pas et qui sont trop pauvres pour jouer à la surenchère sociale. Il nous appelle à une autre logique : invite ceux qui ne te rendront pas. A la logique de la réciprocité, il oppose la logique de la générosité. Il nous invite à tisser des liens avec ceux auprès desquels on n’aurait sans doute pas pensé se trouver. Il reste à les voir, il reste à les aimer. Et à travers eux, nous sommes invités à redécouvrir notre juste place : fils et filles de Dieu, frères et sœurs de tous.
Nous avons donc aujourd’hui à réentendre la gratuité de l’invitation adressée à tous mais aussi à nous demander, si en déployant notre vie selon Dieu, nous n’avons pas à redécouvrir la véritable « humilité ». Dans la Bible elle n’est pas une invitation à se diminuer mais à élever les autres, ce qui est une définition de l’amour du prochain. Il n’est donc pas dit de prendre la dernière place et d’y rester mais bien de faire de la place à l’autre, aux autres, et dans cet acte de retrait de recevoir et de tenir la place où Celui qui nous a invités, Dieu, nous met.
La Béatitude qui conclut cet évangile est d’une grande force : « Heureux es-tu lorsque tu invites à ta table ceux qui n’ont rien à te rendre. » Ce faisant, tu agis comme Dieu. Lui aussi t’invite à son repas gratuitement, sans payer, alors que tu n'en es pas digne, alors que tu ne peux rien lui rendre d’autre que la grâce qu’il te fait. N’oublie pas que ta place est une place d’invité, dont tu n'es ni privilégié, ni propriétaire. Oui, Jésus n’interdit pas les places d’honneur, il critique plutôt les manières de les désirer, de vouloir s’en emparer comme un droit. Et interroges -toi. A la table de l’Eucharistie, pauvres, infirmes et pécheurs, y sont-ils les premiers invités ? S’y sentent-ils à l’aise quand ils ne comprennent pas le langage ou ne sont pas en règle avec telle précepte de l’Eglise. Ta vocation, ta mission est donc de les inviter et non pas de te contenter d’un confortable « entre-soi ».
Et quand tu fais un repas de fête, dans tes invitations, qui a la priorité ? Le Seigneur regarde notre table, les convives, la porte entre-ouverte, celles et ceux qui sont dehors, pourquoi ne pas les inviter ? La cousine oubliée, la famille de la paroisse chez qui les pompiers sont venus, le couple du premier qui s’engueule en public. Léo, Sandrine et Mehdi que tu croises chaque matin en prenant le métro. Le Seigneur ne nous demande qu’une chose : cesser de choisir nos relations en fonction de ce qu’elles nous apportent. Offrir la place d’honneur à celles et ceux dont le monde n’attend rien. Oui invite- les et tu seras heureux ! N’oublie pas aussi de t’inviter chez eux, comme Jésus le faisait, quels que soient leur rang social, leur perfection morale, leur misère physique ou spirituelle.
Voilà l’appel que le Seigneur nous adresse en ce dimanche de rentrée. Un appel fort à « l’humilité », une invitation à nous ajuster à cette attitude spirituelle profonde, car nous ne sommes rien sans la grâce de Dieu et nous avons donc à nous laisser conduire par elle. Et bien demandons au Seigneur dans notre prière de ne jamais oublier qu’à la table du Royaume les places d’honneur sont pour les petits. Alors pourquoi nous prendre pour des grands ?




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