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Homélie du dimanche 15 Juillet 2025

Le bon samaritain


« Le bon samaritain » voilà une histoire bien connue, même au-delà du cercle chrétien. Connue non pas dans les détails, mais dans sa signification. N’est-il pas fréquent de dire de quelqu’un qui a porté secours à une personne en détresse qu’il ou elle a été « le bon samaritain » ? La plupart en restent à cette interprétation morale, ce qui n’est déjà pas si mal, puisque l’emploi de l’expression en ce sens est une manière de manifester de l’admiration et de se sentir plus ou moins stimulé pour en faire autant. Mais l’interprétation proprement chrétienne de la parabole, celle que Luc a évidemment voulue en retenant ce récit dans son évangile, reste malheureusement fermée à la très grande majorité, y compris à beaucoup de chrétiens « pratiquants », tant il est vrai que le sens « éthique » de la parabole paraît suffire.


Le « détour » par Dieu peut sembler ici une option, voire même inutile. L’important n’est-il pas d’être poussé à la générosité vers autrui ? Certes, c’est important. Mais ne manque-t-on pas quelque chose de vraiment aussi essentiel si l’on ne saisit pas ou ne veut pas saisir qu’à travers Jésus, c’est Dieu qui se révèle comme étant le bon Samaritain… Je fais l’hypothèse que ce désintérêt pour Dieu dans cette histoire est peut-être dû au fait que cela remet en cause la représentation que les humains se font communément de lui en projetant sur Dieu leurs désirs infantiles de toute-puissance… Quelle conversion il faut en effet pour reconnaître que la toute-puissance de Dieu se manifeste d’abord dans sa miséricorde.

    Mais venons-en au récit de la parabole. On a affaire à un « docteur de la Loi », donc à un théologien, étant entendu que la théologie, dans le judaïsme, s’intéressait surtout aux manières pratiques d’obéir aux multiples commandements de la Torah. C’est précisément cela qui déclenche la parabole de Jésus. Car ce docteur de la Loi veut « mettre à l’épreuve » Jésus à ce propos, en lui demandant : « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » Sous-entendu, qu’est-ce qui dans la Torah est le plus important.


    Cette question était très débattue dans les cercles juifs de l’époque. Il fallait bien, parmi les 613 commandements que l’on avait coutume de dénombrer, distinguer les plus, voire le plus important. Et voici que Jésus répond à la question du scribe par une autre question : « Dans la loi, qu’y-a-t-il d’écrit ? Et comment lis-tu ? » Comment comprends-tu ce que tu lis ? Comment l’interprètes-tu ? La réponse du scribe est admirable, puisqu’elle rejoint ce que Jésus allait lui dire. Notre scribe en effet résume toute la Torah dans le double commandement d’amour pour Dieu et pour le prochain. Bravo, fais ainsi et tu auras la vie éternelle ! Il n’y a plus rien à ajouter mais le récit ne s’en tient pas là. Le scribe, nous dit Luc, relance le débat avec la question : Mais, « qui donc est mon prochain ? » Oui, le scribe a bien répondu, mais en fait, le débat est lié à l’espère de double morale admise à l’époque : celle en faveur des frères juifs était plus exigeante que celle en faveur des autres, à savoir les païens – les Goyim- ceux qui ne partageaient pas le privilège d’appartenir au peuple élu.

  Et c’est justement cela que Jésus attaque à travers la parabole. Il met en effet en scène un Samaritain, c’est-à-dire un hérétique, donc un non-fréquentable pour un juif soucieux de la fidélité à la Loi. Cet hérétique succède à deux juifs qu’on peut qualifier de très bons. Ils le sont, parce que le fait de se détourner de l’homme gravement blessé qu’ils rencontrent sur leur chemin n’est pas motivé par l’égoïsme du style « je n’ai pas le temps de m’arrêter » ou bien « oh là, cela va m’attirer des ennuis », mais bien – tel est l’objet précisément du débat- par le souci d’honorer Dieu en étant fidèle à la Loi. Et en l’occurrence, la Loi déclare impure toute personne qui touche un mort ou un laissé pour mort. Or, il s’agit d’un prêtre et d’un lévite : ils deviendraient donc inaptes, puisqu’impurs, à exercer leur fonction cultuelle au temple de Jérusalem s’ils prenaient en charge l’homme gravement blessé. Le conflit n’est donc pas de l’ordre de la générosité morale, mais bien de la manière dont Dieu appelle à vivre pour être en communion avec lui.


   La générosité morale n’est évidemment pas absente du récit. Elle est même importante et elle suscite l’admiration. Non seulement en effet notre samaritain s’approche du blessé et lui donne les premiers soins, mais il le charge sur sa monture, le conduit chez l’aubergiste du coin ; il va même jusqu’à payer celui-ci pour les soins qu’il va donner et, c’est le comble, il se déclare prêt à lui rembourser lors de son retour ce que celui-ci aura dépensé en plus. Or, il fait tout cela pour un blessé qu’il ne connaît même pas… Il ne se demande pas si le blessé est un samaritain comme lui, ou bien un juif ennemi, ou quelqu’un d’une autre origine ou religion… Son geste s’adresse symboliquement à tout être humain dans le besoin.

Impossible de ne pas remarquer, en finale, l’inversion de la question posée à Jésus. Le docteur de la Loi lui avait demandé : « Qui est mon prochain ? » Jésus demande maintenant : « Lequel des trois s’est fait le prochain de… ? » La leçon est évidente :il s’agit de s’approcher pour faire d’autrui dans le besoin notre prochain. Et cet autrui n’est évidemment pas seulement la personne blessée dans un accident de voiture ou dans une agression dans la rue. C’est parfois un autrui très proche, le plus proche même, dont il nous est demandé de nous faire le prochain : famille, voisins, collègues de travail, commerçants du quartier… Il est si facile de se soucier des autres, même généreusement, lorsqu’ils sont loin et d’oublier le plus proche de nous…


   Mais à travers tout cela, en filigrane en quelque sorte, c’est bien de Dieu dont il est question dans la parabole. Cela transparait dans l’expression « saisi de compassion ». Expression qui évoque, dans le premier Testament, l’attitude de Dieu envers son peuple dans la misère. Avant donc de nous interpeller tous, et avec quelle justesse, sur notre générosité humaine, Jésus nous interroge sur notre représentation de Dieu. Car finalement, elle nous dit quoi de Dieu, cette parabole ? Elle nous dit qu’en Jésus, Dieu s’est abaissé jusqu’à se faire le samaritain, donc l’hérétique, afin de se faire le prochain de l’humanité blessée, de lui porter secours, de la prendre sur lui pour la soigner au prix de son propre sang : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime ». C’est cette représentation de Dieu qui constitue l’essentiel de la parabole. Un essentiel proprement scandaleux, puisque tellement opposé à l’image de Dieu que tous, moi y compris si je ne me surveille pas, nous nous faisons. Quoi ? Dieu ne serait-il donc pas ce tout puissant monarque, sorte de projection de nos désirs infantiles les plus primaires ? Il serait tout puissant jusque dans sa faiblesse, ce qui le pousserait à aimer en dépit de tout jusqu’à en mourir ? Et il nous inviterait à mobiliser les plus puissantes de nos ressources personnelles en direction de cette « faiblesse » ? Oui, c’est bien de cela dont il s’agit !... Car le bon samaritain, c’est le Christ. C’est lui qui s’approche, se fait le prochain de l’humanité blessée, qui la prend en charge, qui paie de sa propre vie les soins qu’il lui donne pour la guérir. Et l’auberge où il l’a conduit, c’est l’Eglise chargée par lui, de soigner toute blessure, et cela gratuitement. L’Eglise dont la mission est d’être non pas une douane cléricale mais un hôpital de campagne, où l’on soigne tout être humain sans se préoccuper de lui demander son certificat de baptême ou de bonne conduite.


   A partir de cela, il est évident que ce récit d’évangile nous interpelle chacun concrètement. Chrétiens, nous pouvons être portés à réagir un peu comme le prêtre juif ou le lévite de la parabole, en oubliant que si la messe n’est pas secondaire, elle n’en est pas moins seconde ; ou plutôt ce qui fait qu’elle n’est pas secondaire, c’est justement qu’elle est seconde, c’est-à-dire subordonnée à la charité, comme le montre la parabole du jugement dernier selon St Matthieu : « ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ». Oui, la tentation est évidente : celle d’une excessive concentration sur la prière et la liturgie au détriment de l’attention gratuite, je dis bien gratuite, sans prosélytisme, aux blessés de la vie. La prière chrétienne est aussi bien une prière de demande que de louange. Mais prier pour tel ou telle sans se soucier de lui rendre visite, de l’écouter, de lui faire justice… cela ne revient-il pas à la posture légaliste du prêtre et du lévite de la parabole ? De même lire la Bible sans s’en nourrir comme Parole de Dieu qui nous conduit à la prière et à la conversion du cœur et des actes, n’est-ce pas encourir le reproche de Jésus à travers sa question : oui, tu lis, mais « comment lis-tu ? » Oui, la conversion fondamentale à laquelle nous appelle cette parabole s’appelle tout simplement l’amour car Dieu est charité… Amen !

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