Homélie du dimanche 14 septembre 2025
- igignoux
- 16 sept.
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Avec toute l’Eglise nous fêtons aujourd’hui « la croix glorieuse ». « Croix glorieuse », étrange choc des mots ! C’est un peu comme si on disait « la guillotine glorieuse » ou encore « le peloton d’exécution glorieux » … Comment donc pouvons-nous nous retrouver à faire la fête autour de l’un des plus abjects instrument de torture ? En quoi le gibet du supplice peut-il être glorieux ? Lorsqu’on prend un peu de recul et qu’on y songe vraiment, c’est un bien étrange signe de ralliement que les chrétiens se sont choisis ! Tardivement d’ailleurs, notons-le, car les premiers disciples lui préférèrent le signe du pain et des poissons, comme en témoignent certaines mosaïques anciennes…
Alors que veut dire ce choix de la croix comme signe de la foi chrétienne ? Avons-nous à honorer l’instrument infâme par lequel le sang d’une victime sacrificielle innocente fut versé pour le rachat d’une faute originelle dont nous porterions, toutes et tous, le poids ? Le rachat de nos fautes doit-il se faire dans un bain de sang ? Le christianisme peut-il se résumer à un immense sacrifice n’échappant pas aux traditions ancestrales les plus païennes ?
Parfois, dans son histoire chaotique, l’Eglise a exalté la croix. C’était, et cela reste, une façon forte de faire mémoire du don total du Christ. Une manière de nous rappeler que la foi est aussi à certaines heures un chemin rude et exigeant de dépouillement et d’abandon. Mais, cette exaltation de la croix fut parfois tellement prégnante que cela en devenait louche ! Dans chaque pièce, les crucifix rivalisaient de laideur sanguinolente pour nous rappeler que le Fils de Dieu souffrait pour nous, que c’était « notre faute, notre très grande faute » s’il y était cloué, que nous étions responsables de son éternelle agonie…
Bon, vous le savez bien, toutes les religions savent user de la culpabilité pour asservir leurs troupeaux et le christianisme n’y a pas toujours échappé. Comme si la souffrance en elle-même était une « bienheureuse épreuve » que Dieu nous envoie pour mieux nous éprouver. Comme si la souffrance brutale et aveugle pouvait être d’emblée rédemptrice !
En vérité, il faut tout un chemin spirituel souvent rude et long pour trouver un peu de sens et de lumière au cœur de l’absurde… A trop chercher à vouloir à tout prix expliquer l’inexplicable on s’embourbe dans des fadaises prétendument « spirituelles » qui n’ont plus grand-chose à voir avec l’Evangile ! Non, Dieu n’est pas un Dieu pervers qui, volontairement, nous assomme d’épreuves et de croix à porter pour mieux nous rapprocher de lui. La vie se charge déjà suffisamment de nous blesser pour que Dieu ne rajoute pas de sel dans les plaies pour notre « édification » ! Non, « Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. »
Alors, la Croix du Christ, comment cette croix que nous fêtons aujourd’hui est-elle glorieuse ? Eh bien, parce que c’est un bois nu. Parce que c’est un bois nu où Dieu n’est plus ! La gloire de la Croix, c’est qu’elle est vide ! Vide comme le tombeau du matin de Pâques.
Lorsque nous regardons les croix où le Christ agonise, nous les regardons avec le regard de la foi, avec cette espérance rivée au cœur que bientôt, que déjà, le Christ n’y est plus. La croix est glorieuse parce que Dieu l’a désertée pour venir habiter à la seule adresse où il souhaite désormais vivre : au cœur de notre humanité dont il vient prendre sur son épaule forte et secourable le fardeau des jours gris. Depuis le grand matin de Pâques, il vient au cœur de toutes nos détresses, de toutes nos fragilités et pauvretés pour mieux nous relever. Et sa croix, alors, est une planche de salut, le bois où agripper nos vies quand la tempête risque de nous submerger. Oui, la croix, nous fait signe, que « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle »
Tenez, je me rappelle d’un reportage TV sur sœur Emmanuelle, la chiffonnière du Caire comme on l’appelait. C’était à la fin de sa vie, dans sa petite chambre d’une maison de retraite à Nice. Le regard de celui qui la visitait ce jour- là était attiré par une croix au-dessus de son lit. Une croix magnifique dont un antiquaire n’aurait pourtant pas donné trois sous ! Un chiffonnier de la décharge d’ordure du Caire l’avait fabriquée avec deux vieux morceaux de cageot, une ficelle douteuse et un fil de fer rouillé symbolisant le corps du Christ. Croix façonnée de tous les rejets de l’humanité, croix de l’injustice, de l’exclusion, de la pauvreté, de la maladie, de la solitude, du désamour… Croix fragile mais croix, ô combien « glorieuse » !
C’est vers cette croix que la fête de ce jour nous invite à élever notre regard, une croix ni objet de superstition, ni simple bijou, mais symbole fort qui nous montre la proximité de Dieu auprès de tous ceux qui souffrent, ce Dieu qui est venu non pas supprimer la souffrance, ni même l’expliquer, mais la remplir de sa Présence. Croix qui transforme un instrument de torture en instrument de salut parce qu’elle nous révèle jusqu’où va l’amour de Dieu pour nous. Croix glorieuse parce qu’inséparable du tombeau vide. Croix glorieuse qui fait jaillir la vie là où la mort semblait régner en maître.
Ce dimanche, nous sommes donc invités à regarder vers cette poutre de gloire qui nous dit jusqu’où nous sommes aimés. Pour contempler que ce n’est pas tant la croix qui est glorieuse que le Christ qui révèle à travers elle, ce qui est au plus profond de son être, son amour qui va jusqu’à l’extrême. Pour reconnaître dans cet amour qui va jusqu’au bout, le signe de Celui qui veut illuminer déjà de sa présence l’obscurité de nos croix, car avec lui, en lui, toutes nos morts accouchent de la vie, puisque « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. »
Fêter la croix glorieuse, c’est donc pour nous un appel à nous mobiliser contre le mal sous toutes ses formes, en nous et autour de nous, pour que notre univers de haine et de mort mette au monde cette résurrection que Jésus y a semée. Fêter la croix glorieuse, c’est nous rendre solidaires de tous ceux qui croulent aujourd’hui sous toutes sortes de croix, mais regardant d’abord ce Jésus crucifié en qui nous reconnaissons Dieu donné jusqu’au bout. Fêter la croix glorieuse, c’est nous laisser travailler par l’excès d’amour qui s’y manifeste, c’est y reconnaître une source de guérison, de vie, de salut afin que là où est la haine nous mettions l’amour, là où est l’offense nous mettions le pardon, là où est la discorde nous mettions l’union, là où est le doute nous mettions la confiance, là où est le désespoir nous mettions l’espérance, là où sont les ténèbres nous mettions la lumière.
Allez, si nous fêtons aujourd’hui la croix glorieuse, si nous contemplons le crucifié, c’est parce que nous croyons en sa résurrection. Oui, nous le croyons, comme le dit si bien ce refrain de Taizé, « Devant toi Seigneur, la ténèbre n’est point ténèbre, la nuit comme le jour est lumière » Amen !
Père Patrick Rollin




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