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Homélie du dimanche 12 octobre 2025

Un sur dix !... Un seul de ces dix lépreux, voyant qu’il est guéri, revient sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix. « Or, nous dit l’évangile, c’était un samaritain. »


Voilà donc un autre bon samaritain… enfin pas tout à fait car ce samaritain là est un homme deux fois mauvais. Mauvais par son origine, bien sûr, parce qu’il est issu de Samarie. (C’est un hérétique aux yeux des juifs.) Et mauvais aussi par son état, parce qu’il est lépreux. Et puis, à la différence du Samaritain de la Parabole, il n’est pas l’exceptionnel qui vient au secours de son prochain, mais un parmi d’autres qui appellent Jésus au secours. Toutefois, la suite du récit d’évangile parait claire : lui seul revient sur ses pas, lui seul est reconnaissant, il est plein de gratitude, il rend grâce à Dieu. Donc il est pas mal ce samaritain !


Un reconnaissant pour neuf ingrats, la pêche du miracle n’est pas bien miraculeuse. Comme quoi, guérir les hommes de leur ingratitude est un miracle beaucoup plus grand que les guérir de toutes leurs maladies.


Cependant, quand on y regarde de plus près, les choses ne sont pas si claires que cela. D’abord, les autres ne sont pas revenus, tout simplement parce qu’ils obéissent au commandement de Jésus, à la Loi de Moïse : « Allez vous montrez aux prêtres. » S’ils avaient fait demi-tour, ils lui auraient peut-être rendu grâces, mais ils auraient peut-être aussi manqué de respect vis-à-vis de la Loi. Entre l’obéissance et la reconnaissance, ils ont préféré la première, l’obéissance. Qui donc pourrait le leur reprocher ? Par ailleurs, celui qui revient est un samaritain. Il ne pouvait pas se montrer aux prêtres : ceux-ci ne l’auraient pas reçu puisqu’il n’est pas juif.


Je me demande dès lors comment il a pu partir avec les autres comme ça, sans se poser de questions. Croyait-il qu’avec la caution de Jésus, il aurait un passe- droit ? Pensait-il passer inaperçu entre les neuf autres ? Mais en allant au Temple, sur ordre du Christ, il risquait d’y provoquer un esclandre. Alors, en revenant vers Jésus, il montrait de la reconnaissance, certes, mais il se détournait aussi de cette route périlleuse. Et enfin, quel est ce Messie qui semble tant tenir à ce qu’on le remercie ? Pourquoi réclame-t-il à ce point la louange ? A-t-il besoin qu’on le rassure sur son pouvoir ? Est-il comme ces bienfaiteurs vaniteux qui attendent d’autant plus un retour qu’ils ont prétendu donner sans attendre de retour ?


A dire vrai, si l’Evangile n’avait pour but que de nous donner une leçon de gratitude à l’égard de nos bienfaiteurs, il serait parfaitement inutile. La morale païenne suffirait amplement. Ou même un manuel d’éducation civique. Sous ce rapport, du reste, les neuf autres lépreux sont irréprochables : ils obéissent à la Loi, avons-nous dit, ils sont tout à fait moraux. C’est plutôt le samaritain qui passe outre. Il sort des cadres prescrits. Il se met à danser et à chanter à tue-tête : il glorifie Dieu à pleine voix, puis il se jette face contre terre… Mais Jésus n’a pas besoin de sa gratitude. Il lui dit d’ailleurs de se relever et de repartir. Et il fait aussi son éloge et lui déclare non seulement qu’il est guéri mais sauvé. Sauvé d’une pureté qui serait celle du froid métal.


Autant dire, pour nous, qu’il ne suffit pas de prier Dieu dans la détresse. Et pour Dieu il ne suffit pas de nous exaucer. Si l’on en restait là, il n’y aurait pas alliance, mais simple transaction, du donnant-donnant. Et une fois guéri, on pourrait continuer sa route comme avant ! Or, le Seigneur ne nous guérit d’un mal que pour que nous puissions mourir d’aimer. Tel est le sens de l’action de grâce. Il n’y va pas d’une gratitude humaine, comme on retourne une politesse. Il y va d’un débordement de vie parce qu’on a le cœur retourné. C’est l’amoureux qui se met à chanter sa bien-aimée, à lui écrire des poèmes, à faire pour elle mille folies.


Le Très-Haut n’a pas besoin de notre louange. S’il nous l’inspire, ce n’est pas pour lui, c’est pour nous, parce qu’en chantant sa gloire nous y participons. Ainsi l’on pourrait dire que l’ancien lépreux ne rend pas grâces pour sa guérison mais qu’il est guéri pour entrer dans l’action de grâce. Le Dieu des chrétiens veut moins la soumission que la jubilation.

Voilà le chemin parcouru par ce lépreux samaritain, un bel itinéraire de foi que lui seul parcourt en revenant sur ses pas. Lui seul a reconnu en Jésus le véritable prêtre, le véritable intermédiaire qui donne accès à Dieu et par qui Dieu agit. Un Dieu qui lui permet non seulement de faire peau neuve, mais qui plus encore le transforme intégralement, l’ouvre à la joie, le pousse à la louange, suscite la gratitude qui gonfle le cœur, réchauffe tout l’être, stimule l’envie de vivre, rend plus vivant et laisse chanter en nous le beau nom du Père.


Aussi ce soir, demandons-nous comment l’itinéraire de ce lépreux samaritain peut-il éclairer le nôtre ? Pour cela je vous propose les mots de conclusion de l’exhortation apostolique « Dilexi te, Je t’ai aimé » que le pape Léon vient de publier. « L’amour chrétien brise toutes les barrières, rapproche ceux qui sont éloignés, unit les étrangers, rend familiers les ennemis, franchit des abîmes humainement insupportables, pénètre dans les replis les plus cachés de la société. De par sa nature, l’amour chrétien est prophétique, il accomplit même des miracles, il n’a pas de limites : il est pour l’impossible. L’amour est avant tout une façon de concevoir la vie, une façon de la vivre. Eh bien, une Eglise qui ne met pas de limites à l’amour, qui ne connait pas d’ennemis à combattre, mais seulement des hommes et des femmes à aimer, est l’Eglise dont le monde a besoin aujourd’hui » Oui, avec le samaritain qui revient sur ses pas, vers Jésus, tout retourné par tant d’amour, rendons grâce à Dieu, Oui bénis sois-tu Seigneur !

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