On raconte que pour les Anciens, la formation du corps humain commençait par le façonnement de l’oreille. Génétique contestable sans doute pour les savants d’aujourd’hui, mais tellement signifiante pour le croyant qui entre en Carême. Seul Dieu peut véritablement ouvrir l’oreille de l’être humain car il a pris la peine de la creuser. Et le stoïcien Epictète n’a-t-il pas raison d’affirmer : « Dieu a donné à l’homme deux oreilles, mais une seule bouche, pour qu’il puisse écouter deux fois plus qu’il ne parle » ?
Le Carême offre quarante jours pour se mettre sur écoute et prêter l’oreille à la voix qui vient de l’abîme de l’être. Préalable indispensable : le silence, car tout se ligue pour recouvrir la parole essentielle. La rumeur du monde apparait tellement répétitive que l’on s’habitue à la litanie des détresses et à la confession de son impuissance. La surdité guette. Alors que l’être humain se réalise en devenant « tout oreilles » ou, selon la belle expression biblique, « un cœur qui écoute » (1R 3,9). Jésus proclame la béatitude des oreilles qui accueillent la Bonne Nouvelle du Salut.
L’écoute est bien l’attitude première pour s’engager en Carême. Car elle aiguise l’attention à la parole qui surprend, désinstalle et requiert. Une parole qui vient aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur. Le christianisme ne choisit pas entre l’intériorité et l’extériorité : l’irruption du Tout-Autre dans une vie oblige tant à sortir de soi qu’à rentrer en soi, à aller au-delà qu’à creuser plus profond. La voie chrétienne est à double sens. Elle structure la personne en faisant exister une communauté, elle change le monde en « retournant » des individus. Fermer son oreille au frère peut empêcher Dieu de parler.
Finalement, l’invitation à l’écoute est une sollicitation à l’obéissance. Dans de nombreuses langues, et d’abord en hébreu, écouter et obéir ont la même racine. Et il n’est pas de plus haute obéissance que celle de la foi, cette remise totale entre les mains du Seigneur de l’histoire. Tel est le secret de la vie selon Dieu d’Isaïe (55,3) : « Tendez l’oreille, venez vers moi, écoutez et vous vivrez ».
Puissent ces quarante jours de Carême qui nous sont offerts être pour chacun un temps de grâce, de mise sur écoute !
P.ROLLIN+
Recteur St Bonaventure/chapelle Hôtel-Dieu
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