Ezéchiel 22, 20-26 – Psaume 17 – 1 Thessaloniciens 1, 5c-10 – Matthieu 22, 34-40 :
Les jours que Jésus passa à Jérusalem entre le Dimanche des Rameaux et le Vendredi Saint ne furent pas de tout repos pour lui, loin de là. Jésus fut confronté aux anciens du peuple, aux grands prêtres, aux Pharisiens, et chaque groupe essayait de le faire tomber dans un piège pour l’accuser.
Dimanche dernier, il était interrogé par des Pharisiens sur le fait de savoir s’il fallait ou non payer l’impôt à César. Entre cette page et celle qui nous est proposée aujourd’hui, ce furent des Sadducéens, les milieux liés au Temple, qui l’interrogèrent sur la foi en la résurrection. Et voilà que les Pharisiens reviennent à la charge en le mettant à l’épreuve par l’intermédiaire d’un de leurs maîtres, pour le conduire à identifier le plus grand commandement de la Loi. Où était l’épreuve ?
Les maîtres juifs qui ont rédigé le Talmud, à partir du IIe siècle de notre ère, ont tiré de la loi de Moïse 613 commandements différents qu’il fallait observer scrupuleusement ; 365 commandements négatifs et 248 commandements positifs. La liste varie d’un maître à l’autre, mais c’était à s’y perdre. Si l’on passe son temps à examiner les repères, on ne profite plus du chemin sur lequel on avance. On n’était pas entré dans les détails à ce point-là au temps de Jésus, mais les maîtres pharisiens commençaient à dresser des listes interminables.
Si Jésus entre dans le jeu de la question qu’on lui pose, il risque d’être convaincu d’erreur. Car on pourra toujours lui objecter un commandement plus grand que celui qu’il aura cité. Il répond alors de façon extrêmement fine, en ne citant pas un commandement identifié comme tel. En particulier, il ne cite pas le Décalogue. Il cite le Shema Israel (ce qui signifie en hébreu « Ecoute, Israël »), emprunté au livre du Deutéronome, qui est pour les Juifs l’équivalent de ce qu’est pour nous le Notre-Père. J’en cite le début : « Ecoute, Israël : le Seigneur ton Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force… » (Dt 6, 4-5). Jésus renvoie donc son interlocuteur à une prière qu’il prononce plusieurs fois par jour. L’importance ne peut en être contestée.
Et, de façon très subtile, Jésus ajoute un commandement complètement noyé au milieu des prescriptions du Lévitique : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18). Rien dans la tradition juive ne conduisait à mettre ce commandement en avant.
Cependant, Jésus fait beaucoup plus que rapprocher deux commandements. Il déclare qu’ils sont semblables ou qu’ils sont pareils. Ils ne sont pas différents. Autrement dit : aimer mon prochain et aimer Dieu, c’est la même chose, cela se fait dans le même mouvement. Dans l’amour que je dois manifester, je dois traiter mon prochain comme un Dieu.
Cela anticipe ce que Jésus dira dans la grande fresque du Jugement dernier au chapitre 25 de Matthieu : « Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40).
La façon dont Jésus répond au Pharisien qui l’a interrogé est subversive. Il opère comme une superposition entre Dieu et le prochain ; comme si mon prochain était Dieu, et comme si Dieu était un humain. Le ciel n’est plus au ciel, mais sur la terre ; et la terre n’est plus sur terre, mais au ciel.
Si je reprends la 1ère épître aux Thessaloniciens, on trouve sous la plume de l’apôtre Paul des propos qui ne sont guère éloignés de ceux de Jésus : « Vous vous êtes détournés des idoles, afin de servir le Dieu vivant et véritable. » Les idoles, ce sont des divinités que l’on localise et à qui l’on donne des noms, comme les dieux de l’Olympe dans le monde grec ; ils habitent sur des montagnes peu accessibles, ou dans les temples. Ils sont bien là, ils vivent entre eux, et ils laissent les humains tranquilles.
Il en va tout autrement du Dieu de Jésus Christ. Il est au-dessus de tout nom, il est partout, et il peut prendre le visage de toute personne humaine. Si j’ai de la haine pour mon prochain, j’ai en même temps de la haine pour Dieu. C’est cela, la logique de l’Incarnation. Chacun d’entre nous est loin d’en avoir tiré toutes les conséquences.
Je nous invite donc à sortir de tout ce qui, dans notre attitude religieuse, ressemble de près ou de loin à du paganisme. Ayons pour nos frères humains autant d’égards que nous en avons pour Dieu le Père et pour Jésus. Cela demande de notre part une véritable conversion. Que l’Esprit Saint, qui agit en nous, nous aide à en passer par là.
Homélie du P. Michel Quesnel
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