Quel récit étonnant que ce récit de la Transfiguration ! Récit étonnant, déroutant même, tant il paraît centré sur la personne de Jésus.
Les disciples viennent de vivre un moment privilégié de Jésus dans sa relation au Père.
Il intervient à un moment-clé de cette relation, entre deux annonces de la Passion, annonces que les disciples n’ont pas comprises. Et on les comprend !
Après l’obscurité des mots, voici une lumière inattendue destinée non à les éblouir mais à les éclairer sur l’événement pascal à venir et fortifier leur foi dans l’écoute de la Parole du Christ.
Car, à la transfiguration, il y a autant à entendre qu’à voir.
Parti à l’écart sur une haute montagne avec trois de ses disciples, Jésus révèle par la lumière qui l’envahit l’intensité de sa relation au Père.
Pendant un temps, les disciples ont accès à Jésus d’une manière autre que celle qu’ils ont eue de lui jusque-là.
Dans la lueur qui fait briller son visage comme le soleil et ses vêtements comme la lumière, ils perçoivent avec éclat sa proximité au Père.
Et cela s’entend ! La Parole divine confirme Jésus comme « fils bien-aimé ».
Pour autant, cette proximité ne se fait pas dans la solitude. Elle ne se fait pas non plus dans une exclusivité relationnelle. La preuve, les trois disciples eux-mêmes ont accès à la transfiguration du Fils.
En plus sur la montagne de la Transfiguration, il y a du beau monde ! Moïse et Elie qui s’entretiennent avec Jésus.
Et nous ?
En quoi ce récit de la Transfiguration nous concerne-t-il ?
Sans doute, nous n’éprouvons pas la même expérience que celle des disciples.
Avouons que l’extase n’est pas notre pain quotidien.
Au lieu de la montagne de la transfiguration, nous avons plutôt l’impression de vivre dans la plaine du quotidien avec son lot de joie et de peine.
L’enthousiasme et le bonheur côtoient souvent l’inquiétude et les épreuves…
Nous ne le savons que trop bien, la vie chrétienne ne nous dispense pas de nous affronter au réel de l’existence avec ce qu’il a parfois de rugueux, d’éprouvant. L’évangile des tentations nous l’a suffisamment rappelé dimanche dernier.
Pour autant, la foi chrétienne n’a pas grand-chose à voir avec l’exaltation d’un moment chaleureux vécu en apesanteur, hors du temps, ou l’exubérance d’une soirée de louange échevelée.
D’ordinaire, notre expérience chrétienne s’apparente plus de celle des disciples qui, à l’issue de la transfiguration, ne virent plus personne, sinon Jésus seul.
Pour autant, ils ne sont plus les mêmes, ceux-là, à la descente qu’à la montée…
Jésus leur donne l’ordre de ne rien dire à personne jusqu’à la Résurrection. Comment pourraient-ils bien parler de cette expérience transformante sans être eux-mêmes passés par là ?
Nous, en revanche, nous sommes passés par là, nous sommes déjà transformés par le bain du baptême, nous partageons dès maintenant la vie vivante de Dieu.
C’est dire que l’expérience de la transfiguration, nous la vivons pleinement, non pas extérieurement à nous mais intérieurement, intimement, spirituellement.
Même si le visage du Christ ne nous apparaît pas extérieurement transfiguré, nous croyons que, malgré notre lenteur à croire, Dieu lui-même prend soin d’illuminer nos cœurs comme au temps des disciples du Ressuscité.
Cette illumination, si nous ne l’avons pas vécue sur la montagne, nous la recevons chaque jour dans la révélation des Ecritures baignée de la lumière de la Résurrection.
De quelle manière cette Parole transfigure-t-elle quelque chose dans nos vies ?
Elle nous donne de croire que nous sommes faits pour la lumière et non pour l’obscurité. Plus encore, elle nous donne d’espérer que la transfiguration de nos vies, de nos corps et de tout ce qui fait notre humanité est possible dès cette vie présente. C’est dire que la vie éternelle est déjà commencée. Qu’il y a une vie avant la mort, une vie de fils de Dieu, de disciple du Christ qui nous fait goûter de l’éclat de l’éternité.
Pour autant, cette expérience lumineuse de Dieu ne se vit pas à l’écart du monde. La transfiguration a lieu à un moment de communion avec les disciples.
C’est dire que la vie spirituelle ne se joue pas à côté de nos relations mais bien à travers elles, pour peu qu’elles soient vécues dans ce lien d’amour qui unit le Fils aimé à son Père.
C’est l’Esprit de Dieu qui nous donne l’audace de contempler le visage du Christ sur celui de nos frères et sœurs et de voir ainsi Dieu à l’œuvre en nous. Grâce à lui, son histoire de Vie est appelée à transfigurer nos vies, comme elle a transfiguré celle de tant d’hommes et de femmes qui nous édifient par la sainteté de leur vie.
Le Carême est bien le moment béni de nous convertir à cette vie divine et fraternelle à la fois.
Prions pour qu’il nous soit donné de nous imprégner de cette lumière vive des Ecritures et du témoignage de foi rayonnant du visage transfiguré de nos frères et sœurs. Amen.
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