L’autre jeudi, sur les antennes d’une grande radio, il fut carrément impossible aux animateurs de décrypter le sens du mot « Ascension ». Par nos temps d’inculture religieuse généralisée, il n’y a pas là matière à s’étonner. Et il y a fort à parier que l’exercice recommençant cette semaine à l’occasion de la fête de la Pentecôte, le résultat serait le même. Et c’est bien dommage !... car sans cette fête de Pentecôte, qui est le complément de Pâques, on ne peut pas comprendre ce qu’est l’Eglise en profondeur, ni même le sens ultime de la vocation chrétienne.
Il faut se souvenir, en effet, que Jésus vient de s’en aller. Décontenancés, ses amis, qui l’ont pourtant vu Vivant, sont, comme orphelins. Que faire ? Où aller ? Quel sens redonner à une vie, soudain, si bouleversée ? Or voilà que, dans la foulée de sa vie à lui, le Ressuscité va les charger de dire et de vivre la tendresse de Dieu dans l’histoire humaine qui contine. Rude et formidable tâche ! Et c’est seulement au matin de Pentecôte qu’ils le comprendront : le Maître, qui est aussi leur ami, leur donne pour cela, et à jamais, la force de son Esprit. Dieu confie son propre destin aux hommes. L’Eglise est née !
Et c’est bien cette Eglise-là qui, depuis plus de 2OOO ans, aura véhiculé vaille que vaille le secret des Béatitudes, permettant à des myriades de solitudes, au fil du temps, de ne jamais désespérer. C’est cette Eglise-là qui aura fait se lever, au cœur des époques et des sociétés les plus diverses, des foules de prophètes, de sages ou de martyrs pour dire aux hommes qu’ils ont du divin dans leur patrimoine génétique. Mais c’est cette Eglise-là, aussi, qui aura dû affronter les épreuves les plus pénibles, traverser les déserts les plus arides, reconnaître et assumer, plus ou moins bien, les erreurs les plus tragiques. Comme une famille où s’entrecroisent et se succèdent les hauts et les bas, les bons et les mauvais jours, la fête et la galère.
Si à la faveur de la Pentecôte, je m’attarde à vous parler d’elle un peu plus que de coutume, c’est parce que ces derniers temps, notre Eglise, précisément, n’a pas été à la fête. C’est le moins que l’on puisse dire. Mais il ne faudrait pas que nos difficultés internes, si éprouvantes et douloureuses soient-elles, que sous le prétexte de la difficultés des temps, nous en venions à nous replier sous nos tentes, entre nous et bien au chaud. Oui, il n’est pas anormal qu’une grande famille connaisse des coups durs, il y a un sage réalisme de la foi à comprendre et à accepter que l’Eglise, comme chacun de nous, connaisse toutes les fragilités de la condition humaine.
Aussi reprenons deux images fortes du récit de la Pentecôte dans les Actes des Apôtres, deux images qui nous invitent à sortir de nos peurs, pour oser dire dans nos histoires d’hommes, la force toute puissante de la vie du Ressuscité, cette vie plus forte que la mort. D’abord celle du souffle d’un vent violent qui remplit toute la maison où se trouve réunie l’assemblée des disciples. D’habitude, le vent ne souffle pas dans les maisons. Les murs servent à se protéger de lui. Mais l’événement de Pentecôte transforme la maison-Eglise en temple de l’Esprit, en maison du vent, et d’un vent violent. Voilà qui peut interroger toutes les assemblées chrétiennes. Peut-être sont-elles trop soucieuses de se protéger contre le vent ? Ou bien trop habituées à la « pétole », ce calme plat, désespérant pour les voiliers et les éoliennes, ou au manque d’air, étouffant par temps d’orage ?
Oui, quel vent souffle sur elles quand elles entendent la Parole de Dieu ? Quelles tempêtes ou brises fraiches viennent réveiller ou apaiser les cœurs ? Quelles idées neuves surgissent pour mieux servir l’Evangile ? Sont-elles bouleversées par ce qu’elles entendent, comme l’étaient les personnes qui écoutaient le témoignage des apôtres quand ils rappelaient les paroles et les gestes de libération du Christ et sa résurrection, lui sur qui reposait l’Esprit de Dieu ? Les foules d’aujourd’hui sont-elles stupéfaites de les entendre, comme l’étaient les gens de Jérusalem à l’écoute des disciples du galiléen ?
Et maintenant après l’image du vent, celle du feu qui se présente sous la forme de langues. St Luc parle d’un feu unique, commun à tous, mais qui se partage et se pose sur chacun d’eux. Tous sont remplis du même et unique Esprit et cependant tous parlent d’autres langues que leur langue habituelle. Jamais ils n’avaient parlé, n’avaient osé parler de cette manière. Chez les disciples s’allume le feu de l’Esprit, celui de Jésus, qui a osé lui aussi parler une langue de feu, celle d’un homme brûlant de l’amour de Dieu. Une langue qui faisait aussi brûler le cœur de ses amis. Le feu de l’Esprit se communique de Jésus ressuscité à chacun des disciples, et en même temps à tout le groupe, à toute sa communauté. Il se communique enfin à toutes les nations qui sont sous le ciel, énumérées dans le texte, celles que l’on connaissait à l’époque.
L’Eglise nait comme Eglise de la Parole libre, diverse et riche de toutes les couleurs des paroles libérées de chacun. Stupéfaction de tous maintenant de s’entendre parler comme le Christ, l’unique langage de l’amour et de la libération. Stupéfaction de la foule. Le christianisme, une religion qui délie les langues, qui transforme les langues de bois en langues de feu. Une religion qui parle une langue que tous comprennent dans leur langue maternelle, qui trouve résonance au plus profond d’eux-mêmes. « Jamais homme n’a parlé comme cet homme » (Jn 7,46), disaient les gardes envoyés par les grands prêtres et les pharisiens pour arrêter Jésus, mais qui le laissèrent en liberté. Jamais religion n’a parlé comme celle-là souhaiterait-on entendre dire encore aujourd’hui.
Voilà la Pentecôte, voici la naissance du Peuple de Dieu, voici l’Eglise dans la splendeur de sa jeunesse, sortons de nous-mêmes, vivons pour nos frères, n’ayons pas peur d’annoncer l’Evangile qui apprend ce souffle de liberté qui relève. Oui, viens Esprit-Saint, envoie du ciel un rayon de ta lumière, viens faire sauter les verrous. En cette fête qui est la tienne, fais-nous comprendre les Ecritures, inspire notre prière, envoie-nous en mission dans le monde, toi, aujourd’hui et à jamais, Esprit de force, Esprit de sagesse, Esprit de lumière, Esprit de conseil, Esprit de feu, Esprit de concorde et de paix. Oui, Seigneur envoie ton Esprit de Pentecôte sur ton Eglise, pour parachever ton œuvre et dire, dans nos histoires d’hommes, la force toute puissante de ton amour. Amen !
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