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Homélie du dimanche 30 Mars 2025


Dimanche 30 Mars 2025. 4° dimanche carême, C. Evangile Luc 15, 1-3 ;11-32

 

Comment, en lisant cet évangile, ne pas se rappeler ces mots de Charles Péguy : « Si tous les exemplaires de l’Evangile devaient être détruits dans le monde, il faudrait que l’on garde au moins une page, celle qui relate la parabole de l’enfant prodigue, pour comprendre qui est Dieu : ce Père qui veille, qui attend, ouvre ses bras, pardonne… »


   C’est vrai : cette page d’Evangile est extraordinaire. De toutes les paraboles de Jésus, il n’en est guère de plus émouvantes et qui soient plus présentes à notre mémoire. Nous croyons la connaître, et nous nous rappelons si bien toutes les mésaventures que doit traverser le fils prodigue, qu’il nous parait qu’elle lui est adressée. A lui ou à ceux qui lui ressemblent. Pour tous les pécheurs que nous sommes, il y aurait là, une promesse merveilleuse, la promesse d’être attendu dans la maison du père pour y être accueilli de nouveau comme un fils.


Cette interprétation bien sûr est juste, mais elle n’est sans doute pas première. En effet, selon toute vraisemblance, lorsque Jésus prononce cette parabole, c’est au fils aîné qu’il s’adresse, c’est-à-dire à tout ce cercle de « justes », les « pharisiens et les scribes » qui l’entourent et lui reprochent de « manger avec les pécheurs », de se laisser approcher par ces publicains et ces prostituées dont il affirme qu’ils seront les premiers dans le Royaume. Jésus entend les critiques qui émanent des milieux pieux, légalistes avec lesquels il entre souvent en querelle, mais dont il ne peut mépriser la fidélité.


   La fidélité. L’enfant fidèle, c’est justement ce fils aîné qui peut déclarer sans risque d’être contredit : « Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres » Ce fils aîné, il est cet homme qui n’a jamais désobéi ni fait la bringue. Celui que des lecteurs ou des auditeurs hâtifs de la parabole pourraient croire un peu négligé par le maître de maison, il est au contraire celui qui va entendre la phrase la plus bouleversante de ce récit qui pourtant en est riche : « Tout ce qui est à moi, est à toi. »


   « Tout ce qui est à moi est à toi. » Voilà l’affirmation essentielle qui résume toute l’histoire. Personne ne la comprend. Aucun des deux fils. Le prodigue revendique ce que pourtant il possède déjà : « Donne-moi la part qui me revient », et cette part, comme une mesure d’eau retirée à sa source, s’épuise. Quant à l’aîné, à sa façon, il fait ses comptes et ne veut pas comprendre que tous les chevreaux de la ferme paternelle sont à lui. A son père d’ailleurs, significativement, jamais il ne dit père, il lui lance seulement à la tête un amer « ton fils que voilà » pour désigner son frère.


     Pourtant voyez-vous, cette déclaration déchirante : « Tout ce qui est à moi est à toi. » un autre fils l’a entendu. Oui, nous le savons, toutes les paraboles, parlent secrètement de Jésus lui-même, dont elles font en creux le portrait. Si le fils cadet et le fils aîné de la parabole ne valent pas mieux l’un que l’autre, et si les deux frères, avec des chemins différents, ont du mal à assumer dans la joie leur pleine stature de « fils du père », et bien en contrepoint de ces deux fils pas très formidables, nous entrevoyons en filigrane un autre fils, un fils heureux, reconnaissant, débordant de la joie de venir du Père et de retourner à lui, un fils qui jamais ne récrimine contre le Père. Un fils qui lui aussi va dépenser tout l’héritage du Père, et jusqu’au dernier sou, ou plutôt jusqu’à la dernière goutte de sang, pour nous le verser et nous le reverser, afin que nous ayons la vie et la vie en abondance. Cet héritage, c’est la miséricorde du Père, c’est vivre de ce mystère d’amour, vivre de cette réalité incroyable que le Fils bien aimé vient nous révéler et dans laquelle, et c’est difficile, il nous invite à entrer. Vivre de la vie même de Dieu dès aujourd’hui, vivre de son amour plus fort que la mort que nous célébrerons au matin de Pâques. « Mon fils était mort et il est revenu à la vie »


    En nous approchant peu à peu de Pâques, sur notre chemin de carême, nous sommes donc invités à écouter dans cette parabole le cœur même de notre foi et de notre joie, à savoir que le Fils, vivant de la vie du Père, a traversé la mort pour pouvoir, un jour, avec lui, nous la faire à notre tour passer. « Il était perdu et il est retrouvé » il est vivant à tout jamais pour nous faire entendre cette déclaration déchirante du Père : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. »


   Cette déclaration d’amour, tout au long de l’histoire des hommes et des femmes l’ont entendue. Elle a été à la source de toutes les générosités et de toutes les fidélités. Elle a fait les saints. En ce temps de carême, nous sommes donc priés à l’entendre nous aussi. Elle est un appel pressant à la conversion véritable, à consentir, à accepter notre condition de fils et donc voir en l’autre quel qu’il soit, quel que soit son chemin, toujours un frère, une soeur. Et c’est ainsi que dimanche après dimanche de carême, le vrai visage de Dieu se dessine et se précise. Un Dieu de patience et de compassion, un Dieu qui ne condamne pas… Un Père qui, quoi que nous ayons fait de nos vies et de nos amours si souvent bouleversés, ne nous laisse pas à genoux dans les ornières de notre culpabilité et dans les prisons de nos morales si souvent étriquées. Un Père qui toujours, nous relève et nous ressuscite grâce au souffle de son amour.


    Alors en ce dimanche de la joie, Seigneur soit béni pour ton Fils Jésus qui s’est fait l’un des nôtres pour nous révéler ton cœur de Père. Le monde ancien s’en est allé, la nouveauté de Pâques est déjà là. A l’image du fils cadet de la parabole nous étions morts et tu nous as rendu la vie. Semblables au fils aîné, tentés de préférer la loi à l’amour et au pardon, perdus dans le repli calculateur tu viens sauver en nous la joie de nous donner aux autres. Apprends-nous à être des fils comme ton Fils Jésus, libres, larges, heureux, riches de confiance et d’espérance. Redis-nous combien tu aimes chacun de tes enfants, toi qui ouvres à tous ton cœur de Père. Donne-nous de croire que ton amour est assez grand pour faire de nos erreurs mêmes, une vocation, un appel à ce que ta Parole prenne chair en nos vies. Il y a urgence à nous convertir, à croire à ton Evangile.


Amen

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