« Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. » Eh bien, dites-moi, qui de nous peut s’estimer digne d’être disciple du Christ après avoir entendu de telles déclarations. Les exigences que Jésus pose ici peuvent nous paraître démesurées si le suivre implique de lui donner la préférence, la priorité absolue, de le préférer même à ce que nous avons de plus cher : nos affections et nos amitiés humaines… et ce d’autant plus, que Jésus va même plus loin encore, puisqu’il ne nous demande non seulement de le préférer à ceux qui nous sont le plus chers, mais il nous appelle à le préférer à nous-mêmes, à notre propre vie ! Mais Jésus serait-il devenu fou ? Vraiment l’Evangile d’aujourd’hui a de quoi nous déconcerter.
« Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi » En effet ces paroles de Jésus nous le savons aujourd’hui sont les propos qu’utilisent tous les abuseurs. Sauf que, justement, cela ne trouve aucune prise dans la vie de Jésus. Doux et humble de cœur, il ne s’impose jamais. Passionné de liberté, il ne cherche jamais à mettre la main sur les autres mais toujours à nous mettre dans la main de Celui qui est le secret de sa joie, le Tout Autre, le Dieu Vivant. Jésus nous invite toujours à faire le choix de Dieu, à devenir des hommes et des femmes de Dieu et non pas d’un despote qui nous asservit, ni d’une idole provoquant le fanatisme. Le Christ justement veut nous libérer de tout amour captatif.
Alors, comment comprendre ces paroles radicales de Jésus ? Faut-il vraiment le préférer à nos parents ou à nos enfants ? … Aimer plus, aimer moins… Cette étrange alternative aux allures de marchandage et de jalousie serait la manière d’interpréter les paroles de Jésus ? Mais on voit mal le Christ s’engager dans ce jeu affectif puéril. C’est bien pourquoi nous sommes dans l’impasse lorsqu’à propos de ce texte d’évangile nous tentons de mesurer nos affections, de comparer l’incomparable, car ce sont là des sentiments trop différents entre eux pour qu’on soit tenté de les classer.
« Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n’est pas digne de moi. » Oui, comment entendre ces paroles qui claquent à nos oreilles et nous dérangent parce qu’elles relativisent nos liens familiaux les plus élémentaires, qui contestent nos liens les plus sacrés, le pilier de notre vie affective et sociale ? En fait, on se condamne à ne rien comprendre de l’Evangile lorsqu’on oublie que ces paroles ont été prononcées dans un climat de crise et d’urgence. Tenez, d’autres passages d’évangiles nous éclairent : Pensez à ces apôtres en train de pêcher avec leur père et qui l’abandonnent ainsi que leur filet pour suivre Jésus. Et puis, à cet homme à qui Jésus ne laisse pas le loisir d’enterrer son père : « Toi, viens, suis-moi. » Vous savez, il ne s’agit pas pour eux alors, ni pour nous aujourd’hui, de nous interroger à l’infini sur nos préférences, sur nos inclinations du cœur, de nous inquiéter d’être encore trop attaché à un père ou une mère qu’à la vérité nous n’aimerons jamais assez. Non, il s’agit de trancher et de choisir, car l’évangile nous rappelle sans ambiguïté le prix de la liberté intérieure, le prix de la liberté spirituelle, le prix de la souveraine liberté d’aimer.
Voilà, ce serait bien mal comprendre l’évangile que de voir dans les rudes paroles de Jésus un encouragement à la sécheresse du cœur. Le risque que dénonce Jésus n’est pas dans un excès de tendresse que nous pourrions porter à nos proches ; nous savons bien que certains saints ont été les meilleurs des fils. Non, la question qui nous est posée avec l’évangile de ce dimanche, est exactement celle-ci : en définitive, à qui vas-tu obéïr, qui vas-tu suivre ?
C’est vrai, on se dit chrétien, on va à la messe, et tout et tout… mais sommes-nous prêts, en fidélité à l’évangile, à quitter nos possessions et nos certitudes, notre confort moral et notre confort tout court, tout ce que nous avons mis en place pour vivre notre foi à moindre risque, à moindre coût ? Lorsque Matthieu écrit son évangile, le choix de suivre le Christ et d’être baptisé pouvait entraîner pour des chrétiens des ruptures douloureuses avec leur famille, leur entourage, la religion de leur communauté. Leur manière de parler de Dieu et de vivre les valeurs humaines étaient tellement différentes de celles de leur culture environnante, qu’elle fut juive ou païenne ! Ils pouvaient être amenés à s’opposer à leurs parents, en ce qui concernait les croyances, le culte, et aussi les rapports humains, notamment la dignité de tous, le respect des plus petits, les rapports hommes-femmes, maître esclave. Autant dire que le baptême avait pour eux des conséquences très concrètes et parfois onéreuses dans leur vie. Et c’est bien ce qu’expose St Paul dans sa lettre aux Romains en parlant du baptême comme d’une mort pour une vie nouvelle, à l’image de celle du Christ qui a été décriée et rejeté lui-même par les notables religieux de son temps, par ses proches les gens de Nazareth, et même par sa famille.
Vous l’avez bien compris, Jésus ne nous dit pas qu’il ne faut pas aimer père, mère, enfants, et même notre propre vie, mais il nous rappelle que le suivre, le choisir pour Maître et pour ami, suppose des choix, des renoncements, des préférences qui donneront à notre vie une réelle capacité à aimer comme lui-même nous a aimés. Jésus nous a montré le chemin : il nous a préférés à sa propre vie. Et si nous le préférons nous aussi à notre propre vie, il nous fera entrer, avec nos affections humaines, dans le chemin de sa résurrection : « Qui a trouvé sa vie la perdra ; qui a perdu sa vie à cause de moi la trouvera ».
Bon, je vous l’accorde cela résonne en nous comme une exigence redoutable. Pourtant c’est à cela que le Christ appelait ses disciples hier, comme nous aujourd’hui. Être disciples, c’est choisir sans hésitation le Christ pour maître et pour ami. C’est répondre à un appel puissant, exigeant et vrai. Un appel qui nous libère et nous rend libre de quitter résolument le chemin de nos vérités toutes faites pour la fragilité et l’insécurité requises pour avancer dans la vie. Non par résignation, mais par choix conscient et libre, sûr qu’il donne force à notre faiblesse, sûr que son souffle de vie ne nous manquera jamais pour nous libérer de tout ce que nous avons mis en place pour nous croire vivant, à moindre risque, à moindre coût. Oui, le temps est au départ, et il faut donc quitter ce qui nous retient, nous empêche d’avancer, ces liens qui nous empêchent de vivre libre. Il faut partir quoi qu’il en coûte.
Alors voulons-nous suivre le Christ ? Voulons-nous être de ces hommes et de ces femmes qui répondent présents quand la Bonne Nouvelle appelle leur engagement ? L’amour de Dieu nous presse, voulons-nous être de ces disciples que le Christ envoie au monde pour étancher sa soif ? " Celui qui donnera à boire, même un simple verre d’eau fraîche, à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, ne perdra pas sa récompense. "
Seigneur aide-nous à te choisir à chaque instant de notre vie, donne-nous de te chercher dans tous les recoins de notre vie, pour que nous naissions vraiment à une vie nouvelle des enfants de Dieu et qu’ainsi, nous te découvrions présent dans le prochain que nous accueillons comme un frère.
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