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Homélie du dimanche 1 septembre 2024

Evangile St Marc 7


    « Va te laver les mains ! » Qui n’aura pas entendu cette injonction au moins

une fois dans sa vie ? Pourtant, passé la petite contrariété de se voir signaler

son manquement aux règles de l’hygiène élémentaire, l’incident sera classé

dans la catégorie des faits sans importance. Mais tel n’est pas le scénario de

l’Evangile de ce dimanche, où ce reproche adressé par les pharisiens à ses

disciples met Jésus dans une colère noire. Pourquoi en est-on arrivé là ?

En fait, ces pharisiens, ils ont l’air de questionner alors qu’ils condamnent.

« Pourquoi tes disciples ne suivent ils pas la tradition des anciens ? Ils prennent

leur repas sans s’être lavé les mains. » Ils accusent les disciples de ne pas être

fidèle à la tradition ! Mais la tradition c’est quoi ?

La tradition, chez les juifs, c’est la Loi. Elle faisait obligation aux prêtres de se

laver les mains avant le service liturgique (Exode 30,17-21). Or, parmi les juifs,

certains, dont les pharisiens, imposèrent ce rite à tous les juifs avant qu’ils ne

se mettent à table « sous prétexte que tout repas est un acte religieux et que

tout Israël est un peuple sacerdotal ». Puis procédé bien classique pour justifier

tous les règlements, toutes les coutumes, toutes les pratiques liturgiques,

concernant les rites de pureté, on disait que cela remontait jusqu’aux temps les

plus anciens, jusqu’à Moïse, le libérateur. En un mot, c’était « la Tradition » et

la Tradition c’est sacré, on n’y touche pas !

En bien c’est pour casser cette mécanique d’enfermement, pour en découdre

avec le formalisme et le traditionalisme, que la réplique de Jésus est cinglante.

Sur le même registre de la tradition des anciens, Jésus cite Isaïe. Isaïe, le grand

poète et prophète de Jérusalem dont on répète les oracles depuis huit siècles :

« Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. » Déjà la

distance entre les paroles et la pensée, les apparences et la réalité, déjà le

mensonge du comportement extérieur et conformiste. Alors Jésus accuse à son

tour les accusateurs. Ces pharisiens sont des hommes cassés, des êtres de

duplicité. « Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites ! »

« Hypocrites » Oui, Jésus dénonce leur hypocrisie et le formalisme de leurs

comportements et cela avec violence. Il faut dire qu’Isaïe allait plus loin

encore : « Inutile, leur culte ; préceptes humains, leurs doctrines. » Et la

dernière phrase de la citation porte le scapel encore plus profond : « Vous

laissez de côté le commandement de Dieu pour vous attacher à la tradition des

hommes. » En somme vous prétendez servir Dieu alors que vous le trahissez

pour imposer vos propres vues !


En clair, ce que Jésus dénonce avec force, c’est d’oublier l’essentiel, la

démarche profonde. Ces pharisiens ne s’occupent plus que du rite extérieur.

Mais qu’est-ce qu’un signe qui se prend pour une fin en soi alors que son

unique raison d’être est de renvoyer à l’intérieur de l’homme ? Il n’est plus que

bonnes manières, indices d’appartenance à un groupe, vernis trompeur. Dieu

est alors trahi par ceux qui prétendent le défendre, le représenter, détenir de

lui mission et autorité. En un mot, Jésus dénonce crûment la trahison des

pharisiens sous le couvert de la tradition ou plutôt de la fausse tradition.

Humain, trop humain tout cela. Aussi Jésus va-t-il aller à la racine. Tout

mettre sens dessus dessous. Et il ne confie pas cette révision bouleversante à

quelques spécialistes qui pourraient ensuite la monnayer, faire évoluer

lentement les esprits, aménager des transitions prudentes. Non ! Il appelle la

foule. Et le renversement de perspective c’est celui-ci : « rien de ce qui est

extérieur à l’homme et qui pénètre en lui ne peut le rendre impur. Ce qui sort de

l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. »

Eclatante vérité ! Il y a perversion quand l’extérieur l’emporte sur l’intérieur,

l’apparence sur le cœur, la cérémonie sur le sens, la grande manifestation sur

l’intériorité, la règle sur l’esprit. Pour Jésus cette manière de vivre est

inacceptable, car la vraie tradition, la seule tradition vivante, c’est le courant

qui passe du cœur de Dieu au cœur de l’homme. Et pour qu’il passe, il faut sans

aucun doute, des fils conducteurs, mais plus ceux-ci sont ténus, moins ils

offrent de résistance.

Vous l’avez compris, Jésus ne rejette pas à priori les rites, mais il déplace

l’épicentre du rituel vers le cœur. C’est ce qui vient de son cœur qui rend

l’homme impur. Un propos libérateur par rapport aux tabous alimentaires,

mais d’une exigence redoutable sur le plan moral, car le travail de purification

du cœur n’est jamais achevé. Et en présence des scribes et des pharisiens,

Jésus a l’audace d’inviter la foule à ne pas croire en leur enseignement et à ne

pas respecter leurs préceptes. Ce qui est premier pour lui c’est l’intérieur de

tout être humain, quelles que soient ses prescriptions et traditions religieuses.

Dans toutes les cultures, se laver les mains est un acte extérieur nécessaire,

mais se laver le regard et le cœur est un acte de conversion intérieur bien plus

important. La vraie pureté est celle du regard et du cœur plus que celle des

mains. « Quel intérêt y-at-il à prier les mains bien lavées si l’esprit est plein de

saletés » déclarait aussi Tertullien un père de l’Eglise.

Oui, « « Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu » (Matthieu 5,8). Dans le

cadre de l’Alliance, ce sont la droiture et la bienveillance du cœur, qui portent à

voir Dieu en chacun et en chacune, et rendent le cœur pur et libre d’aimer.

Elles préservent aussi du danger de l’intransigeance et d’intolérance, ainsi que

de la volonté obsessionnelle d’imposer ses propres rites ou rubriques à des


personnes d’une autre culture. Ces propos de Jésus donnent une priorité

constante à l’humanité commune par rapport à la diversité des religions et de

leurs préceptes particuliers.

Aussi laissons nous interroger. Qu’en est-il de nos célébrations ? Ne nous

trompons pas d’obéissance. Sous peine d’être en porte à faux avec la Bonne

Nouvelle du Christ, nos célébrations peuvent se limiter à n’être que des

cérémonies extérieures où ferait défaut l’attachement au Seigneur. La foi

commence par l’écoute de sa Parole. Aimer son prochain n’est pas une option,

c’est un impératif. Il ne faut rien ajouter à cette Loi, recommandation qui

prévient la surenchère spirituelle de ceux qui veulent en faire toujours plus

ainsi que des dangers de la pureté obsessionnelle. Certaines démarches

religieuses peuvent être pathologiques.

Eh bien, ce dimanche, dans notre prière, demandons au Seigneur de mettre

sa Parole en pratique, de ne pas nous contenter de l’écouter, car ce serait se

faire illusion. Si sa Parole n’est que simple exécution de prescriptions et de

rubriques, notre louange hebdomadaire ne peut pas conduire à l’amour des

frères. En revanche, la Parole de Dieu accueillie avec cœur s’enracine dans le

quotidien et porte du fruit.

Alors Seigneur, nous t’en prions. Comme il est bon de te louer pour Jésus ton

Fils venu nous offrir le vin nouveau de l’Evangile et donner à la Loi de Moïse

toute sa saveur et sa plénitude. Oui, c’est lui, ton Fils, qui nous a révélé ta

tendresse, c’est lui qui t’a rendu l’adoration véritable. Nourris de ta Parole et

de l’Eucharistie, mets en nous la force de ton Esprit pour que nous n’oublions

pas que pour que le fleuve de la tradition parvienne jusqu’à nous, il faut

perpétuellement désensabler son lit, selon les bons mots du père Jean de

Lubac. Amen !

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