2 M 7, 1-2. 9-14 – Psaume 16 (17) – 2 Th 1, 16 – 3, 5 – Luc 20, 27-38
Homélie du P. Michel Quesnel
Rien de tel, pour ridiculiser une position, que de la pousser à l’absurde ! Cette histoire de sept frères qui meurent les uns après les autres après avoir épousé la même femme est complètement rocambolesque. Elle est montée par un groupe de Sadducéens, un mouvement proche des grands prêtres de Jérusalem, à la théologie très conservatrice. Ils interrogent Jésus dans la Ville sainte, après le dimanche des Rameaux, dans l’espoir de le prendre au piège et de le condamner.
Leur point de départ est la loi du lévirat, exprimée dans le livre du Deutéronome. Comme, dans l’Israël ancien, les femmes n’avaient de droits que par leur mari ou par leurs fils, une femme qui n’avait pas de fils majeur et qui devenait veuve devait être épousée par un frère de son mari défunt. Mais que la situation se produise sept fois de suite est totalement invraisemblable.
Les réponses de Jésus sont pleines de finesse. Il commence par ironiser sur la foi de ses interlocuteurs en affirmant que, dans l’au-delà, les morts sont semblables aux anges. Or, les Sadducéens, qui ne croyaient pas en la résurrection, ne croyaient pas non plus aux anges ! Saint Luc le rappelle dans les Actes des Apôtres : « Les Sadducéens disent qu’il n’y a pas de résurrection, pas plus que d’ange ni d’esprit, tandis que les Pharisiens professent tout cela. » (Ac 23, 8).
Puis Jésus leur prouve ensuite leur erreur sur leur propre terrain, en citant un passage du Pentateuque, à savoir les livres les plus sacrés de la Bible juive. Lors de l’épisode du Buisson ardent, la voix divine déclara à Moïse : « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. » Comme Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants, c’est donc que ces trois hommes, qui avaient vécu plusieurs siècles avant Moïse, étaient toujours vivants. Nier la résurrection n’est donc pas fidèle à la foi juive !
En fait, les choses étaient un peu plus compliquées. La foi en la résurrection des morts n’était pas très ancienne, à l’époque de Jésus. Elle remontait aux années 160 avant notre ère, à la suite des persécutions menées contre les Juifs par le roi de Syrie Antiocos Epiphane. La 1ère lecture d’aujourd’hui place la foi en la résurrection dans la bouche du deuxième et du quatrième frère qui vont être martyrisés. Cette foi était devenue celle du courant Pharisien, dont Jésus était proche, mais d’autres courants spirituels, comme celui des Sadducéens, n’y adhéraient pas.
Reste que Jésus a convaincu au moins une partie de l’auditoire, car le texte se poursuit par deux versets qui n’ont pas été retenus par le découpage liturgique. Je les cite : « Alors certains scribes prirent la parole pour dire : ‘Maître, tu as bien parlé.’ Et ils n’osaient plus l’interroger sur quoi que ce soit » (Luc 22, 39-40).
Que pouvons-nous retenir pour nous de ces lectures ? Certains seront peut-être déçus par les paroles de Jésus : il semble penser que les relations conjugales n’existent plus au-delà de la mort. Or, ceux d’entre vous qui sont veufs ou veuves et qui ont connu le bonheur avec leur conjoint espèrent bien les retrouver dans l’autre monde !
Jésus ne dit cependant pas que les relations conjugales ne se prolongeront pas. Il dit précisément que, dans l’autre monde, on ne prend ni femme ni mari. On n’est plus mari, femme, père ou mère, on redevient tous des enfants : « … enfants de Dieu et enfants de la résurrection. »
C’est finalement là le point central de l’espérance chrétienne. Le fait que Dieu est notre Père, que nous affirmons de façon parfois un peu machinale en ce monde, prendra alors une importance majeure.
Sur l’au-delà, on ne peut que balbutier. Mais la foi chrétienne affirme que ce sera pour tous un lieu de vie, et d’une vie harmonieuse puisque nous aurons tous conscience d’être enfants de Dieu. Les Sadducéens faisaient de leur religion une religion de morts, au pluriel. Sans le savoir, ils en faisaient aussi une religion de mort, au singulier.
Ce n’est pas parce que nous conservons des questions non résolues sur l’au-delà qu’il faut en nier l’existence. L’au-delà est plein de mystères. Or, un mystère – affirmait le Jésuite François Varillon – n’est pas quelque chose d’incompréhensible ; c’est quelque chose qu’on n’a jamais fini de comprendre. Que l’Esprit Saint nous aide à avancer dans la compréhension des mystères de l’au-delà, avec confiance et de plus en plus.
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