Si 35, 15b-22a – Ps 33 (34) – 2 Tm 4, 6-8. 16-18 – Lc 18, 9-14
Homélie du P. Michel Quesnel
On est tellement habitué à parler du pharisien et du publicain que l’on traite ces deux appartenances comme des réalités analogues. Mais il n’en est rien. Etre publicain, c’est exercer un métier : c’est collecter les impôts que les citoyens juifs payaient au pouvoir romain. Etre pharisien, c’est appartenir à un mouvement spirituel. Un mouvement exigeant : les pharisiens s’efforçaient de respecter au mieux la Loi de Moïse, et ils travaillaient à l’adapter eu monde moderne, car la Loi de Moïse avait plus de mille ans d’existence, et on ne pouvait vivre au 1er siècle de notre ère comme au temps de l’Exode et du nomadisme. Jésus était proche du mouvement pharisien, et il avait de nombreux amis qui en faisaient partie.
Que peut-on reprocher au pharisien de la parabole ? Et qu’est-ce que Jésus lui reproche ? Tout d’abord, il a ego surdimensionné. Avez-vous remarqué combien de fois il parle à la première personne ? « Je te rends grâce, je ne suis pas, je jeûne, je verse le dixième… » Pas moins que quatre fois « je » en deux phrases.
Ensuite, et c’est cohérent avec cet ego, il se tient debout, bien droit, et il prie en lui-même. Ses phrases sont censées s’adresser à Dieu, mais en fait c’est à lui-même qu’il s’adresse, pour exprimer combien il est satisfait de soi.
Enfin, il se compare : « Je ne suis pas comme les autres hommes… je ne suis pas comme ce publicain. » Or, il est totalement illégitime de se comparer, car cela conduit à des attitudes déviantes. Soit on se croit au-dessus des autres, et cela conduit à l’orgueil. Soit on se croit en-dessous des autres, et cela donne prise à l’envie. Or, chaque personne a sa valeur. J’aime dire, lorsque je rencontre des pénitents dans le cadre de la confession, qu’une pâquerette est une merveille, tout autant qu’une rose.
Tout autre est l’attitude du publicain. Physiquement, il baisse les yeux, conscient de la grandeur de Dieu. Et il s’adresse réellement à Dieu, en lui demandant qu’il le prenne en pitié à cause de son péché. Il était fréquent, en effet, que les publicains puisent dans la caisse, lorsqu’ils récoltaient les impôts pour la puissance occupante. Les chrétiens orientaux pratiquent ce qu’ils appellent la Prière du Cœur, qui se rapproche de celle du publicain. Elle consiste à répéter lentement, comme une musique méditative : « Jésus, Fils de Dieu Sauveur, prends pitié de moi pécheur. »
On pourrait penser que, lorsqu’il écrit la 2ème épître à Timothée, Paul n’est pas loin d’avoir l’attitude du pharisien. D’ailleurs, il appartenait à ce mouvement avant d’avoir été saisi par le Christ ressuscité. Car lui aussi se vante de ses états de service : « J’ai mené le bon combat, j’ai gardé la foi, je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice. » Il est en tout cas beaucoup plus proche de l’attitude du pharisien de la parabole que de celle du publicain.
Oui, mais il ne se compare pas. Et, au lieu de mépriser ceux qui vivent de façon moins exigeante que lui, il est habité par le pardon : « Tous m’ont abandonné. Que cela ne soit pas retenu contre eux. »
Alors, pour nous qui lisons et entendons ces lectures bibliques, quelle est la juste attitude ?
Prier comme le publicain n’a pas à être notre seule forme de prière. D’ailleurs, si nous estimons que nous avons la même humilité que cet homme, nous ne sommes pas loin du pharisaïsme. Il peut y avoir aussi de la fausse humilité à penser que nous sommes moins que rien. S’il faut être conscient de ses limites, il faut être également conscient de ses qualités. Le psaume liturgique 138 rappelle que toute personne humaine est une merveille. L’auteur s’adresse à Dieu en disant : « C’est toi qui as créé mes reins, qui m’as tissé dès le sein de ma mère. Je reconnais devant toi le prodige, l’être étonnant que je suis » (versets 13-14a).
Ainsi la juste attitude est-elle celle de l’humilité véritable. Elle comporte la reconnaissance des capacités que nous avons en nous et qui sont un don de Dieu, comme le fait saint Paul. Et nous avons à rendre grâce pour les talents que nous avons reçus. Et elle comporte également de savoir dire sans complaisance la prière du cœur inspirée de celle du publicain : « Jésus, Fils de Dieu Sauveur, prends pitié de moi pécheur. »
Comentarios