« Dieu », dit saint Jean dans sa première épitre, « nul ne l’a jamais vu ». Dans l’évangile de ce dimanche, Philippe n’en prend pas son parti : « Montre-nous le Père… » Et il ajoute, magnanime, qu’il s’en contentera.
Les philosophes, les théologiens, des siècles durant, ont accumulé des traités sur ce « désir naturel de voir Dieu ». Ce n’est certes pas en ouvrant le journal ou en surfant sur les réseaux sociaux, ni en restant assis devant notre télévision que nous avons beaucoup de chance de voir se poursuivre le débat ; le miroir des médias, qui est censé nous renvoyer nos désirs, ne réfracte guère celui-là.
Est-ce que ce désir, encore vif au temps de Philippe, se serait affaibli au long des générations ? Pendant des millénaires, les hommes auraient gardé, chevillée au corps et à l’âme, cette aspiration à voir leur créateur, et désormais ils seraient devenus futiles au point de ne plus s’en soucier ? Hypothèse hautement improbable. Il est plus vraisemblable d’imaginer que ce désir a pris d’autres formes, secrètes, à demi-souterraines, et qu’il continue de travailler l’humanité, pour le meilleur et pour le pire.
Car c’est un désir magnifique et dangereux. « Montre-nous le Père », demande Philippe, autrement dit : Fais-nous voir notre source, ramène-nous au début du monde, à notre origine. Rien de plus légitime que cette demande et on est encore encouragé à la formuler par les paroles mêmes de Jésus, cette façon qu’il a d’appeler le Père céleste par ce nom familier : « Abba », Papa.
Mais le risque est grand, pour celui qui veut remonter vers sa source, d’entrer dans toutes les régressions magiques, infantiles, d’échapper au monde et à ses frères. Ou bien encore de ne rejoindre ses frères qu’à partir de cette origine rêvée, de les faire rentrer de force dans les systèmes les plus irréels, les plus fanatiques, les plus sectaires.
Ambiguïté indépassable de ce désir de voir le Père, l’origine. Jésus la tranche d’une phrase : « Qui m’a vu a vu le Père. » Il ne décourage pas l’immense désir de voir Dieu, qui règne en chacun de nous. Il lui donne un visage, le sien, mais c’est aussi chaque visage d’homme à la mesure exacte de sa réconciliation avec Dieu et avec ses frères. Extraordinaire perspective ouverte à Philippe et à chacun d’entre-nous après lui ! Jean l’avait bien comprise : « Dieu, nul ne l’a jamais vu », dit-il, mais c’est pour continuer… « Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous. »
P. ROLLIN+
Recteur St Bonaventure/chapelle Hôtel-Dieu
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